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que vous me dites là me fait le plus grand plaisir ; je craignais le contraire, et Bernadotte le craignait beaucoup aussi. — L’empereur s’est ensuite exprimé sur Murat avec le dernier mépris. — C’est, a-t-il dit, une canaille qui nous a tous trahis. Mais, a-t-il ajouté, quand je me mêle d’une affaire, j’aime à être sûr des moyens de la conduire à bien. Si Murat, résiste, il faudra le chasser. J’en ai parlé, a-t-il ajouté, avec le duc de Wellington : il pense qu’il faudra des forces considérables et que, s’il s’agit de les embarquer, on trouvera de grandes difficultés. » J’ai répondu que ce n’était pas des forces que je demandais (car je sais qu’on me les aurait refusées), mais une ligne, une seule ligne dans le futur traité, et que la France et l’Espagne se chargeraient du reste ; sur quoi l’empereur m’a dit : « Vous aurez mon appui ».

Dans tout le cours de cette conversation, l’empereur a été froid ; mais, au total, j’ai été plutôt content de lui que mécontent.

Lord Castlereagh m’a aussi parlé avec chaleur du traité du 11 avril, et je ne doute point qu’il n’en parle à Votre Majesté. Cette affaire s’est ranimée depuis quelque temps et est aujourd’hui dans la bouche de tout le monde. Je dois dire à Votre Majesté qu’elle reparaît souvent et d’une manière déplaisante. Son influence se fait sentir dans la question du Mont-de-Milan, qui intéresse tant de sujets et de serviteurs de Votre Majesté.

Au reste, il m’est venu à l’idée que Votre Majesté pourrait se débarrasser de ce qu’il peut y avoir de plus pénible dans l’exécution du traité du 11 avril, au moyen d’un arrangement avec l’Angleterre.

Dans les premiers temps de mon séjour ici, lord Castlereagh m’exprima le désir que la France voulût, dès à présent, renoncer à la traite, offrant en ce cas quelques dédommagemens. Les dédommagemens pécuniaires sont, en général, en Angleterre, plus faciles que d’autres. Je crus qu’alors il était nécessaire d’éluder cette proposition sans la repousser péremptoirement et en se réservant de la prendre en considération plus tard. Dernièrement, en parlant de Murat et du sort que l’on ne pourrait se dispenser de lui faire si, l’Europe ayant prononcé contre lui, il se soumettait à sa décision, lord Castlereagh n’hésita point à me dire que l’Angleterre se chargerait volontiers d’assurer une existence à Murat en lui assignant une somme dans les fonds anglais, dans le cas où la France consentirait à renoncer à la traite. Si un tel arrangement était jugé praticable, je ne doute pas qu’il ne fût aisé de faire comprendre dans les payemens à la charge de l’Angleterre les pensions stipulées par le traité du 11 avril.

Cet arrangement, à cause de la passion des Anglais pour l’abolition de la traite, aurait certainement l’avantage de lier étroitement l’Angleterre à notre cause dans l’affaire de Naples et de l’exciter à nous seconder de toute façon.

Il reste à savoir si, dans l’état présent, de nos colonies, la France, en renonçant à la traite pour les quatre ans et trois mois qu’elle a encore à la faire, ferait un sacrifice plus grand ou moindre que l’utilité que l’on peut se promettre de l’arrangement dont je viens de parler ; c’est ce que j’ose prier Votre Majesté de vouloir bien faire examiner afin de pouvoir faire connaître ses intentions sur ce point à lord Castlereagh, qui ne manquera probablement pas de lui en parler.

J’aurais désiré que le traité du 3 janvier qui, le congrès fini, se trouvera sans application, eût été prorogé pour un temps plus ou moins long, ne fût-ce que par une déclaration mutuelle. Il y a trouvé des difficultés, le caractère de M. de Metternich ne lui donnant aucune confiance ; mais il m’a assuré que, quand le traité serait expiré, l’esprit qui l’avait dicté vivrait encore. Il ne veut avant tout donner aucun ombrage aux autres puissances du