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Et il faut que cette grande figure soit attrayante pour qu’elle remplisse auprès de nous le rôle qu’elle a rempli à travers les âges auprès de tous ceux qui ont pleuré devant les crucifixions et souri aux nativités : le rôle du consolateur. Car, avec le dégoût de l’archéologie et le néo-mysticisme, voici qu’une troisième préoccupation plus immédiate, plus universelle, pèse sur nous : le rêve — ou le cauchemar — socialiste. Or, beaucoup de contemporains, semblables au jeune homme de l’Evangile, que ce rêve rend « tristes, parce qu’ils ont de grands biens, » appellent à leur secours le Nazaréen si longtemps dédaigné ! Jadis, c’étaient les socialistes, faibles encore, qui venaient vers les croyans se réclamant de « Jésus de Nazareth, premier représentant du peuple, » et portaient des toasts « à tous les martyrs du socialisme, depuis le calvaire de Jérusalem jusqu’au donjon de Vincennes ! » aujourd’hui que MM. Bebel et Liebknecht tendent, selon le dicton allemand, à remplacer le martyr de Jérusalem dans le souvenir des hommes, ce sont les catholiques qui se réclament du Charpentier auprès du quatrième État en marche vers le pouvoir. Mais qu’importe au mineur de Lens ou au mécanicien de Birmingham, ce qu’un contemporain de Tibère a dit à quelques paysans de la Galilée, il y a deux mille ans ? Alors on voit des publicistes, des orateurs chrétiens, descendre dans la mine, prendre part aux revendications et aux clameurs populaires, se transformer en révolutionnaires « se faisant sans loi avec ceux, qui sont sans loi, pour les sauver » selon le conseil de saint Paul, et leur montrer que le plus beau programme à arborer au bout des baïonnettes à la prochaine révolte est l’Evangile, et que le libérateur à invoquer est le Christ, « toujours le Dieu des pauvres et des ouvriers, comme dit Proudhon, toujours le Dieu des opprimés et des pécheurs, toujours le Dieu de toutes les souffrances, toujours le Dieu de cette nombreuse classe qu’on renie, qu’on pressure, qu’on vole, qu’on emprisonne, qu’on calomnie atrocement, et qu’on appelle populace, plèbe. » Ils leur montrent, dans les pages du Nouveau Testament et dans les Actes des apôtres, les solutions aux problèmes du jour, les trois-huit, la nationalisation du capital, le droit au travail. Ils font du jeune homme de l’Evangile de saint Mathieu, un actionnaire qui résiste à la grève et de l’Ananie des Actes des apôtres un collectiviste selon le cœur de M. Guesde… Eh bien, cette préoccupation si répandue dans notre vie publique, comment la traduire dans l’art qui, selon les esthétiques modernes, doit reproduire tous les états d’Ame importans de la société ? Comment exprimer aux yeux ce socialisme chrétien qui retentit aux oreilles depuis la chaire du Vatican jusqu’à