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II

Le roi avait reçu la démission du Cabinet, en se réservant de délibérer. Il fit venir M. Farini, président du Sénat, M. Zanardelli, président de la Chambre, d’autres hommes politiques capables de le renseigner et, quand il eut mûrement réfléchi, il confia à M. Zanardelli le mandat de former un nouveau ministère. Comme il n’y avait pas eu de vote, et comme M. Giolitti s’était retiré sans avoir été renversé, l’hésitation était permise. M. Giolitti n’avait pas fait une politique différente, dans ses grandes lignes, de celle de ses prédécesseurs. Ni lui ni personne n’en eût pu faire une autre. Depuis 1882, la politique extérieure de l’Italie est fixée et comme immobilisée par la Triple Alliance, et, depuis plusieurs années, sa politique intérieure est, pour ainsi dire, réduite à la solution de la question financière. La seule indication que le roi pût avoir, il la trouvait dans une rumeur persistante. Depuis que l’on avait des doutes sur la solidité du ministère Giolitti, c’est-à-dire depuis plus d’un an, M. Zanardelli passait aux yeux de tous pour être le président du conseil désigné. On disait même que, lorsque la crise éclaterait, elle ne le prendrait pas au dépourvu, qu’elle serait aussitôt résolue que connue, et qu’il avait un cabinet tout prêt. On supposait que, de longue date, l’unique ambition de M. Zanardelli était la présidence du Conseil et qu’il n’avait accepté la présidence de la Chambre qu’afin d’en être rapproché. On rappelait ses antécédens ; on le montrait, ministre des grâces et de la justice dans le premier ministère Crispi, un peu jaloux de M. Crispi, un peu ombrageux et inquiet, plus occupé de son portefeuille de demain que de son portefeuille d’aujourd’hui. (C’est moins rare qu’on ne le croit peut-être ; de cette disposition aussi, nous avons eu des exemples chez nous, et il est de la nature de l’homme de penser à ce qu’il sera après le déluge.) Personnellement, M. Zanardelli niait tout projet qui pût déplaire à M. Giolitti, et comment, en effet, homme de parti, homme de gauche, se fût-il posé en rival de cet homme de parti, de cet homme de gauche, qui était, par définition, le chef de la majorité ? Mais la guerre parlementaire, comme la vraie guerre, a ses blessés ; si le drapeau tombe, il faut le relever et ne pas le laisser à l’ennemi, parce que le chef est là, gisant. Tant que M. Giolitti le tenait d’une main non défaillante, M. Zanardelli ne voulait pas être soupçonné de songer à le lui prendre. Une fois M. Giolitti hors de combat, il n’y avait plus à lui prendre, il n’y avait qu’à sauver le drapeau.