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la Consultà, M. Crispi, qui n’a pas voulu y venir dans les conjonctures présentes, — et cet effacement volontaire montre à quel point il est capable de changer, — M. Crispi, qui n’est pas aux affaires étrangères, y est tout de même en une certaine mesure, et, par le comte Antonelli, y garde du moins un œil et un doigt. Ainsi donc est fait le Cabinet, de ces dix ministres et de leurs sous-secrétaires d’Etat. Avec M. Perazzi au trésor, le duc de Sermoneta aux affaires étrangères, le général Ricotti à la guerre, avec M. de Rudini et M. Nicotera, — si l’alchimie politique où se fondent les partis eut pu permettre cette combinaison, — il eût certainement été supérieur encore à ce qu’il est, mais, étant ce qu’il est, il est certainement supérieur à la moyenne ordinaire des gouvernemens, dans n’importe quel pays parlementaire.

L’essentiel, alors qu’il va falloir que le ministère soit sur à tout instant d’avoir derrière soi l’opinion, est de savoir quel accueil cette opinion lui a fait : chose remarquable et qui est en elle-même un symptôme de la gravité de la situation, elle a été très exigeante et reste, somme toute, très méfiante. Dans le premier moment et rien que sur le nom de M. Crispi, s’est échappé comme un cri de joie : ce mot a sonné comme un Sursum corda ; on se sentait, rien que par lui, comme réconforté, risollevato. C’était le retour aux vastes espoirs. Mais la réaction est venue tout de suite ; elle est issue de la joie même. Si les vastes espoirs allaient ramener avec eux les vastes pensées ? Le nom de M. Crispi, c’était très bien, mais qu’est-ce qui l’accompagnait, quelles moissons ce rayon ferait-il mûrir ? Et, à mesure que les heures s’écoulaient, l’ombre redescendait et s’épaississait. On se souvenait, et l’on redoutait en M. Crispi l’excès de ce que l’on souhaitait.

Les indices sont nombreux et clairs de cet état vraiment psychologique de l’opinion en Italie. « De grandes espérances se sont levées en Italie, dit en propres termes le chroniqueur politique de la Nuova Antologia, sur le retour au pouvoir de M. Crispi… A la Chambre, les partis, comme déjà en 1889, semblent, pour un moment, apaisés, et hors de la Chambre, la majorité sent et croit qu’en Crispi l’Italie trouvera un homme de gouvernement, propre surtout à relever les courages et à rendre au pays la confiance dans ses destinées… » Voici maintenant la réaction : Mais néanmoins on ne sait encore où prendre le fondement de croire « que, de ce nouveau ministère Crispi, la patrie puisse avoir soulagement et salut. » On ne le sait pas, « parce qu’on ne voit pas, on ne sait pas, on ne devine pas avec quelles idées M. Crispi présidera au gouvernement. Il est permis de douter qu’il ait une conception exacte des difficultés réelles qui tourmentent notre pays, et la force de les vaincre. Tout le monde