Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/417

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’était plus le Crispi d’il y a trois ans. A ceux qui lui montraient le ciel noir, il l’a montré plus noir encore, et, afin de bien marquer que l’heure est solennelle, il a imploré des partis la « trêve de Dieu ». Ce n’est pas de la sorte qu’il eût répondu en 1887 ou même en 1890. Jusqu’au bout dans un sens et jusqu’au bout dans le sens opposé, c’est un pendule qui bat de très amples oscillations. Mais, de ce Crispi à l’autre, que de chemin parcouru ! Il n’a pas, cette fois, atténué les difficultés, il les aurait plutôt exagérées, à ce point que, par un phénomène naturel, l’Italie, devant le portrait qu’il lui faisait d’elle-même, s’est un peu rejetée en arrière. « Eh quoi ! si malade et si fatiguée ! »

Et certes, ce n’est pas trop dire, les difficultés sont énormes. On sait que la Chambre a fait fort grise mine à la déclaration ministérielle. Elle l’a trouvée tout ensemble menaçante et vague, — et menaçante parce qu’elle était vague. En vain, M. Crispi a voulu toucher la libre sensible, en vain il a mis en jeu le patriotisme, cette grande vertu de l’Italie contemporaine, d’autant plus agissante, d’autant plus efficace que la patrie est plus jeune et que, pour la faire, on a plus souffert. La trêve de Dieu ne lui a pas été accordée sans conditions. — D’ailleurs, le caractère des trêves n’est-ce pas de n’être que temporaires ? A la reprise des hostilités, le 25 de ce mois, que se passera-t-il ? On assure que ni les amis de M. Giolitti ni ceux de M. Zanardelli n’ont désarmé. L’extrême gauche, dont la position s’affermit dans la Chambre, et qui gagne en autorité, a, pendant la crise même, lancé son manifeste. Rien, dans son attitude, à la première séance, n’indique Que M. Crispi l’ait su fléchir. M. de Rudini, de son côté, n’a pas définitivement abdiqué entre les mains de M. Crispi. La trêve finie, quand il faudra donner en pâture à la Chambre autre chose que des phrases, même émouvantes et belles, où M. Crispi puisera-t-il ? Sont-ce des économies qu’il apportera au Parlement ou sollicitera-t-il de lui une augmentation des impôts ? Mais des économies, sur quel chapitre ? Le général Mocenni n’en tolère. pas plus sur le budget de la guerre que l’amiral Morin sur celui de la marine. Les autres ministères ne peuvent fournir que de ces rognures, de ces raschiature, qui ne suffisent pas. Et pourtant, il faut de l’argent. Alors, ce sont de nouveaux impôts. Pour combien de millions, et la Chambre les votera-t-elle ? Non, les difficultés ne sont pas minces et ce sont encore les moindres, que ces difficultés parlementaires. A la rigueur, si la Chambre repousse les propositions du cabinet, M. Crispi pourra la dissoudre et, selon la formule de M. Giolitti, en appeler au pays. Mais quelle Chambre le pays lui renverra-t-il ? Supposons les impôts votés par cette Chambre ou par une autre, est-on certain qu’ils rentreront ? « Les