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Mais alors, que se passerait-il ? Ou les droits nouveaux seraient uniformes comme les droits actuels, et il en résulterait une inégalité de traitement défavorable aux pays dont le change est au pair. Ou bien, si on voulait établir un rapport sincère entre l’état du change dans un pays déterminé et le régime applicable à ses importations, on arriverait à la variation et à l’inégalité continues des rapports commerciaux, à moins qu’on ne revînt au régime des traités aujourd’hui si détestés, et dont nous sommes de plus en plus partisan.

Quant à la concurrence étrangère, est-elle encore en mesure de peser sur les cours et d’en empêcher le relèvement ? Lors de la discussion qui eut lieu, en 1885, devant la Chambre des députés, au sujet de l’augmentation du droit de 3 francs, M. Méline reconnut que l’effet de ce premier droit avait été d’écarter les importations et d’amener sur le marché une hausse de 1 franc. Si l’on compare aujourd’hui le prix du blé dans les grandes villes de l’Europe, on constate qu’il est plus élevé à Paris que partout ailleurs, et que la différence correspond, à quelque chose près, au montant du droit imposé à l’entrée. Du 8 au 10 décembre 1893, les cours du blé ont été, par 100 kilos, de 17 fr. 875 à Berlin, de 16 fr. 60 à Vienne, de 15 francs à Londres et Anvers, et de 20 fr. 75 à Paris.

Il entre cependant en France des blés étrangers qui viennent combler les déficits et garnir les entrepôts ; mais il est bon que l’on connaisse exactement l’importance de cet appoint. De 1883 à 1892, la production annuelle française a été en moyenne 105 848 782 hectolitres ; pendant la même période, la moyenne de l’importation des blés étrangers s’est élevée au chiffre de 19124253 hectolitres, c’est-à-dire qu’elle représente le cinquième de la production nationale. Du reste, si le droit sert pour ainsi dire de moyen d’intimidation à l’égard des importateurs, il n’entrave pas complètement leurs opérations. Les Américains, notamment, grâce à la supériorité de leur outillage, au rendement élevé de leurs terres et à la diminution constante du prix du fret, continuent à pénétrer sur notre ; marché et à s’y maintenir. Il en sera ainsi tant que nos rivaux s’appliqueront à ne rien négliger pour réduire leurs frais généraux, améliorer et multiplier leur production, tant que le prix de revient des blés français demeurera élevé et constant.

Cette considération n’a pas échappé à nombre de partisans du régime protecteur ; elle a contribué à les arrêter sur la pente du relèvement des droits, relèvement dont ils reconnaissent eux-mêmes l’inutilité. Ils craignent aussi qu’on les accuse de sacrifier le consommateur au producteur, et ils se doutent bien que la