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spécial de la reine, la quantité, le poids, le prix des grains qu’ils auraient achetés dans la semaine. Cette déclaration est faite sous peine d’amende, et les fausses déclarations sont assimilées à un délit. Je n’ai pas osé présenter une loi analogue ; c’est une mesure trop rigoureuse, presque draconienne, qui n’est pas en harmonie avec nos habitudes et avec nos mœurs. Je parviendrai, je l’espère, avec le concours des municipalités, à établir une organisation qui offrira de sérieuses garanties. »

Douce illusion et pur effet oratoire ! En réalité, rien n’a été tenté parce que semblable entreprise serait vaine.

La seule conséquence assurée de l’établissement d’un droit variable serait de favoriser cette malfaisante spéculation que les agriculteurs poursuivent à bon droit de leurs récriminations et de leur haine. Il est certain que parmi les spéculations il y en a qui, pour être tolérées par les lois, n’en sont pas moins blâmables. Ce sont celles qui permettent de réaliser des bénéfices grâce à des manœuvres déloyales. Mais ces excès auxquels la spéculation peut prêter et qui sont plus limités qu’on ne serait tenté de le croire, ces excès ne sont point spéciaux au commerce des blés ; tout genre de commerce les comporte nécessairement, et l’on n’a jamais songé, par exemple, à supprimer la Bourse des valeurs parce que les spéculateurs y avaient leur entrée. A côté de ce baccara, suivant l’expression que nous avons déjà citée, il y a le commerce honnête, auquel l’établissement d’un droit variable rendrait toute transaction impossible ; et, par suite, l’incertitude dans laquelle vivrait fatalement le marché ne profiterait qu’aux seuls spéculateurs. Plus on multiplie les combinaisons, plus on rend le jeu facile et rémunérateur.

Au surplus, il serait vraiment peu logique de rendre les changemens de tarifs si fréquens après avoir reproché dans les termes les plus amers à la spéculation d’avoir abusé des modifications relativement rares que notre législation douanière sur les blés a subies depuis un demi-siècle, et d’en avoir profité cyniquement pour contre-balancer l’effet des droits.

Cette dernière allégation mérite elle-même d’être contrôlée, car d’excellens esprits vont jusqu’à prétendre que l’inconcevable et inexplicable faiblesse des cours doit être attribuée à qui ? aux agriculteurs eux-mêmes. Que fait le cultivateur quand l’année s’annonce comme devant être mauvaise ? Il paraît prouvé, — et M. Méline lui-même l’assure, — que le paysan, dont le crédit est fort limité, se trouve obligé d’acheter tout au comptant et, pour obtenir un peu d’argent, s’empresse d’apporter son blé sur le marché, dépréciant ainsi les cours par sa propre concurrence, dès l’ouverture de la campagne. Dans le cas contraire, si la récolte est