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des choses de la science qui est pour le moins aussi déplaisant. On était, voilà dix ans, positiviste et réaliste. On se vantait d’avoir exorcisé le mystère. On tenait pour un étroit déterminisme. On ne connaissait que les lois de la nécessité. On était brutal et sans pitié. Nous feignons d’être simples de cœur et nous affectons la naïveté. Notre âme se dissout un de vains attendrissemens et dans la religiosité la plus vague. — Une école surtout pendant ces années dernières a occupé le devant de la scène : c’est l’école symboliste, qui s’appelle encore instrumentiste, et d’autres fois décadente ou romane. Les productions de cette école, pour le cas où toutes ne refléteraient pas les mêmes tendances, se reconnaissent à un signe commun : l’obscurité. Et cette obscurité vient de plusieurs causes ; mais elle vient d’abord de ce que les auteurs ne savent pas clairement ce qu’ils veulent dire ; et elle vient ensuite de ce qu’ils ne savent pas leur langue. Ils se sont proposé de réformer notre versification ou tout au moins d’en modifier le mécanisme ; et en cela ils n’ont point tort. Mais le principe d’où ils partent est un principe faux. Leur théorie repose sur la méconnaissance de la nature propre à chaque art. Comme l’école de Gautier et celle des Parnassiens qui en est issue s’étaient proposé d’appliquer à la poésie les procédés des arts plastiques, ils essaient d’y introduire les procédés de la musique. Ils dépouillent les mots de leur sens et les vident de leur contenu intellectuel pour ne s’attacher qu’à la sonorité des syllabes. On ne gagne rien à vouloir ainsi transposer les modes d’expression de chaque art, et à leur demander des effets qu’il n’est pas de leur essence de produire. Parmi les écrivains de ce groupe il est de simples mystificateurs ; ce ne sont apparemment pas les plus intéressans. Il en est de convaincus et qui sont donc le plus à plaindre. Il en est de ridicules, comme ce Stéphane Mallarmé, parvenu à la notoriété pour n’avoir rien écrit et dont la critique dut respecter le mystérieux génie tant qu’il n’était que l’auteur de quelques plaquettes introuvables ; mais depuis, il a commis l’imprudence de publier un recueil où tout le monde peut lire l’Après-midi d’un faune, si personne n’y peut rien débrouiller. et il y a parmi eux un vrai poète : c’est Paul Verlaine. Il ne saurait être question d’étudier ici les poésies de Verlaine et d’indiquer quelle en est exactement la valeur. Mais au surplus ce n’est pas la valeur de l’œuvre qui a déterminé le courant de l’enthousiasme chez la plupart des admirateurs de Verlaine : c’est la physionomie de l’homme et c’est le genre de sa vie. On a pris plaisir à voir en lui un irrégulier au milieu de notre société régulière et de notre monde bourgeois. On s’est hâté de saluer un autre Villon. On a trouvé du charme au cynisme de ses mœurs. On lui a su plus de gré de ses hôpitaux et de sa prison que de ses vers, et plus des tares de son existence que des qualités de son esprit. — Cependant notre littérature était envahie par toutes sortes