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parfois injustes à la tribune et dans la presse, sans exiger, à propos des négligences signalées dans certains services, l’institution de conseils d’enquête qui n’aboutissent jamais à rien, le public est fondé à se demander si les bâtimens en catégorie de réserve sont l’objet des soins constans auxquels ils ont droit.

On peut croire que les règlemens qui prescrivent aux commandans de ces navires des sorties périodiques et surtout une inspection minutieuse sont médiocrement observés, lorsqu’on voit que ces bâtimens, sur lesquels la France doit compter dans les délais prévus pour la mobilisation, sont souvent hors d’état de partir lorsque l’ordre leur est donné de prendre la mer. Il suffit de citer le Du Petit-Thouars, l’Annamite, le Météore et le Pluvier, pour montrer que le cas s’est produit depuis trois ans avec une fréquence inquiétante.

Il est une autre marine qui mériterait aussi qu’on en parlât : celle des États-Unis. Elle existait à peine, il y a quinze ans, et a pris un essor très rapide. Les frais qu’il a fallu faire, à New-York, pour obtenir ce résultat n’étaient pas, à la vérité, bien urgens, étant donnée la politique pacifique, seule conforme aux intérêts de la grande république américaine, dont M. Cleveland vient de donner une nouvelle preuve en revenant sur l’annexion des îles Hawaï.

Mais les grosses dépenses militaires rentraient dans le programme du parti républicain. Non qu’il fût spécialement belliqueux ; le problème consistait alors à trouver moyen de détruire ces odieux excédens de recettes qui rendaient plus qu’inutile, au point de vue fiscal, l’augmentation des droits de douane. Le but était de transformer, très radicalement et très vite, une situation trop florissante en une situation un peu gênée. Ce but a été atteint, dépassé même, et ceux qui le poursuivaient, sous la précédente administration, peuvent triompher en disant, non pas précisément : « Enfin, nous avons fait faillite ! » — on en fût arrivé là, avec le temps, si l’on n’avait pas rapporté le Sherman bill, — mais : « Enfin, nous avons créé le déficit ! »

Le déficit n’est pas énorme, puisqu’il n’atteindra guère que 165 millions de francs ; ce qui vraiment est peu de chose pour un pays où la population atteint 65 millions d’habitans et où la dette publique ne s’élève guère qu’à 4 milliards. Pour en arriver là cependant il a fallu porter les pensions militaires à 800 millions de francs ; ces fameuses pensions aux vétérans de la guerre de Sécession, que l’on a fini par concéder à des combattans dont l’un prétendait « avoir perdu la mémoire » sous le feu de l’ennemi, et dont l’autre faisait valoir « qu’il ne pouvait lire beaucoup sans lunettes » ; quoiqu’il semblât même difficile à celui-là de lire d’aucune manière, n’ayant jamais reçu d’instruction quelconque. On a suspendu le paiement de 6 500 de ces pensions à leurs fantaisistes titulaires, jusqu’à ce qu’ils aient fourni la preuve de leur incapacité d’accomplir un travail manuel.