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C’est un grand bonheur, pour les États-Unis, que d’avoir mis la main sur un président tel que M. Cleveland, dont l’intégrité, l’intelligence et surtout l’indomptable énergie étaient grandement nécessaires pour réparer les fautes de ses prédécesseurs. Pour obtenir l’abrogation de la loi Sherman, qui paraissait imminente à la fin du mois d’août, et qui a traîné jusqu’au milieu d’octobre grâce à l’obstruction épique des partisans de l’argent, au Sénat, où l’un des silvermen prononça un discours de quinze heures ; pour obtenir enfin un vote conforme à la volonté du peuple, M. Cleveland a dû fréquemment intervenir par tous les moyens dont la Constitution lui permettait de disposer.

Aujourd’hui le président ne doit pas déployer une moindre ténacité pour arriver à réviser le tarif actuel des douanes. « Nous voulons, disait-il dans son dernier message, venir en aide à la nation par la réforme du tarif, afin de réduire le prix des objets nécessaires à l’existence. » La Chambre des représentans ou, pour mieux dire, son comité des « voies et moyens », attelé à cette tâche, écoute les observations de chacun. Les intérêts atteints sont si nombreux et si complexes que, si l’on voulait tenir compte de tous, jamais le nouveau tarif, nécessaire au bien du plus grand nombre, de la multitude muette qui n’a point d’avocats, ne pourrait passer dans la législation.

Les succès remportés par le parti républicain, aux élections d’automne, dans des États comme le Massachusetts, l’Iowa, le New-Jersey, le dernier démocrate de tradition, les deux premiers récemment arrachés au républicanisme qui paraît les recouvrer aujourd’hui, le succès même de M. Mac-Kinley, réélu gouverneur dans l’Ohio, à la majorité de 80 000 voix, enfin la déroute du parti démocrate dans l’État de New-York, où il était jusqu’ici tout-puissant, tout cela n’a pu altérer la sérénité avec laquelle le président des États-Unis poursuit l’exécution de son programme.

Tout prouve, à y regarder de près, qu’il aurait tort de s’alarmer. Ce n’est pas le triomphe égoïste d’un parti que M. Cleveland a en vue ; il n’a même emporté des votes notables à la Chambre que grâce à ses adversaires, qui l’ont appuyé contre ses amis d’origine. C’est un fait nouveau et peut-être le prélude d’une évolution future dans les mœurs politiques auxquelles on était jusqu’ici habitué de l’autre côté de l’Atlantique.


Vte G. D’AVENEL.


Le Directeur gérant, F. BRUNETIERE.