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mais ce qui est autrement irréfutable, c’est que la prépondérance de la Prusse en Allemagne est due à une sorte d’assentiment tacite des autres grandes puissances, et que, sans l’inaction dans laquelle elles se sont renfermées en 1866, le royaume d’Italie aurait été fondé sans donner naissance à l’empire allemand. Comment toutes ces choses ont-elles pu s’accomplir ? Pas plus à Londres qu’à Paris ou à Pétersbourg, ou ne sut prévoir le coup de foudre de Sadowa qui, en une seule journée, devait terrasser l’Autriche et assurer le triomphe de la Prusse. C’est ainsi que les puissances ne firent aucune tentative pour se rapprocher et s’entendre ; elles en étaient empêchées par leurs rivalités. Nous venons de dire avec quelle astucieuse habileté M. de Bismarck s’employait à entretenir leurs dissentimens, parlant partout un langage approprié au milieu où il le tenait. Voilà comment la Prusse a pu entreprendre une guerre que rien n’avait provoqué, si ce n’est sa ferme volonté de prendre le premier rang en Allemagne ; voilà comment elle a tiré, de ses victoires, les prodigieux avantages qui lui sont restés acquis sans qu’elle ait consenti à se préoccuper de la façon dont l’Europe les envisagerait.

La paix vint et fut signée à Nikolsbourg. Quelle situation créait-elle aux puissances qui n’étaient pas intervenues dans la guerre ? La France ne pouvait se dissimuler qu’elle aurait, à l’avenir, sur sa frontière de l’Est, un État ambitieux et entreprenant. La Russie qui, depuis longtemps, ne connaissait plus de rivale dans la Baltique, se trouvait atteinte au centre même de son action. Maîtresse des duchés de l’Elbe et toute-puissante en Allemagne, la Prusse, naguère sa vassale, pourrait avant longtemps lui disputer le passage dans la mer du Nord et l’isoler, sur le continent, de l’Europe occidentale. L’Angleterre elle-même, toujours jalouse de toute prépondérance, voyait s’élever au cœur du continent un État dont la puissance dérangeait l’équilibre si savamment aménagé par sa politique séculaire, État qui déjà construisait des flottes et revendiquerait, un jour, sa part dans la domination des mers. La France, la Russie et l’Angleterre ont-elles cependant retenu les enseignemens qui ressortaient des événemens récemment accomplis ? La France voulut pourvoir à sa sécurité ; on sait les entraves que rencontrèrent les tentatives du gouvernement impérial ; la Russie resta sympathique à la Prusse ; l’Angleterre se renferma dans son rôle d’observation.

Il se préparait pourtant un nouveau conflit ; la force des choses le rendait inévitable et, de toutes parts, on le pressentait. Dans la vie publique comme dans la vie privée, on résiste difficilement au charme entraînant, à la séduction prestigieuse du succès. Tout avait souri à la Prusse ; sur le champ de bataille comme sur le