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l’unique souci du chancelier, que n’a-t-il employé tous ses efforts à resserrer des relations, déjà, fort anciennes, et dont il avait tiré un si merveilleux parti ? La Russie satisfaite, après la guerre avec la Turquie, l’Allemagne toute-puissante au centre du continent, quels dangers pouvaient menacer la paix générale ? L’entente de ces deux puissances n’était-elle pas la meilleure et la plus solide garantie de sa conservation ? M. de Bismarck a préféré la rupture, qui n’était certes pas dans les intentions de son souverain ; il en est donc railleur responsable, nous ne saurions trop le répéter. Mais il en a calculé les suites et il s’est hâté de pourvoir aux obligations qu’elle imposait à l’Allemagne. Telle est l’unique cause du rapprochement qu’il a imposé à l’empereur Guillaume autant qu’à l’empereur François-Joseph. Ce n’est donc pas le repos de l’Europe qui l’a préoccupé et conduit à Vienne, c’est la propre sécurité de l’empire germanique.

En réalité, il prenait position pour des conflits rendus éventuels sinon prochains dans le nord de l’Europe par l’attitude que lui-même a prise à l’égard de la Russie, par les devoirs qu’il a imposés à cette puissance en la dépossédant de son influence sur le Danube, des avantages qu’elle avait conquis, durant une guerre meurtrière, au prix des plus grands sacrifices. C’est ainsi qu’il a semé les germes d’un désaccord permanent qui ont grandi plus vite qu’il ne l’a présumé, et dont il peut, du fond de sa retraite, juger déjà les fruits. Judicieux appréciateur en pareille matière, il s’est bientôt rendu compte des difficultés qu’il avait suscitées à son pays, et il a voulu témoigner à la Russie d’autres sentimens. « J’ai pu me convaincre, a-t-il dit au Reichstag, dans un discours dont nous avons déjà cité quelques paroles, que l’empereur Alexandre n’avait ni tendances belliqueuses contre nous, ni l’intention de nous attaquer, ni le penchant de guerres agressives en général… Je me confie, je crois à la parole du Tsar… Nous nous efforcerons de respecter les droits que la Russie tire des traités… et si elle nous demande de soutenir ses démarches auprès du sultan pour ramener les Bulgares à la situation créée par l’entente des puissances, je n’hésiterai pas à accorder notre appui. » Il parlait ainsi en 1888, sans craindre, en tenant ce langage, de donner lui-même un éclatant démenti à tous ses actes récens, notamment à sa conduite au congrès de Merlin et à la précipitation avec laquelle il avait conclu le traité qui unit encore l’Allemagne à l’Autriche. C’est qu’il avait compris et mesuré l’étendue de la double faute qu’il avait commise et qu’il sentait tout le poids de la responsabilité qu’il avait assumée. Il n’en a plus, depuis lors, perdu le sentiment ; et, dans sa retraite, il n’a cessé de prétendre qu’il avait laissé les relations de l’Allemagne avec la Russie dans