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de cette déplorable situation, a été, pour les puissances qui l’ont constituée, la source de difficultés qu’elles n’avaient jamais connues ? L’acquisition de Metz, aurait prétendu M. de Moltke, vaut à l’Allemagne une armée de cent mille hommes, et c’est l’argument qui aurait décidé du sort de cette place. Il est bien démontré aujourd’hui que ses agrandissemens sur la rive gauche du Rhin coûtent plus à l’empire germanique qu’ils ne rapportent à ses finances et à sa sécurité. Ils l’obligent à un développement continu de ses forces militaires et à une progression proportionnelle de ses dépenses. La prédiction du célèbre maréchal s’est retournée contre lui. Un membre du Reichstag affirmait naguère, sans être contredit, qu’en 1879 on payait de 5 à 6 marks par tête de contributions indirectes ; par suite de l’élévation des taxes, cet impôt atteint aujourd’hui 14 marks, c’est-à-dire qu’il a doublé en douze ans. La dernière loi militaire, venant après tant d’autres, élèvera le contingent de paix de 63000 hommes, mais elle fera peser, sur le pays, une nouvelle charge de 60 millions de marks. Disons encore que, pour l’exercice en cours, le budget militaire de la France a été fixé à 633 millions de francs : celui de l’Allemagne s’élèvera à 879 millions, si les calculs qu’on a établis à cet égard, et que nous n’avons pas pu contrôler, sont parfaitement exacts[1]. Le budget de l’Empire comprend, en recettes, des revenus divers, comme le produit des douanes, des chemins de fer et des télégraphes. Mais prévoyant que ces ressources ne seraient pas toujours suffisantes, M. de Bismarck a introduit, dans la Constitution, une clause ingénieuse, grâce à laquelle le budget impérial ne peut jamais tomber en déficit. Elle porte en effet qu’au cas d’un découvert, il sera comblé par tous les États confédérés proportionnellement à leur population respective. Il n’est mis aucune limite à cette contribution dite matriculaire, et elle est ainsi d’une élasticité sans fin. Elle a été fixée, en 1879-1880, à 90 millions de marks, elle s’est élevée, dix ans après, en 1889-1890, à 228 ; elle est pour l’exercice courant, 1893-1894, de 386 millions de marks. En 14 ans, elle a donc quadruplé, et cette augmentation est due presque exclusivement à la progression des dépenses militaires. Nous pourrions multiplier les chiffres à cet égard ; ceux que nous donnons ne sont que trop suffisans pour permettre d’apprécier les résultats de la politique imposée par M. de Bismarck à l’Allemagne.

  1. Voir un travail comparatif fait par M. Jules Roche, ancien ministre, et publié dans le journal le Matin. Il est à remarquer qu’en 1886 notre budget militaire excédait celui de l’Allemagne de 100 millions. Ces chiffres donnent la mesure des sacrifices qu’on ne cesse de s’imposer de l’autre côté du Rhin. Selon M. Roche il faudrait déduire, du budget français, plusieurs services annexes, comme la gendarmerie, qui, en Allemagne, figurent au budget du ministère de l’intérieur.