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Avec une circonspection digne d’éloge, l’Autriche s’est appliquée à remplir tous ses devoirs, mais elle y a procédé en tenant compte de l’étendue de sa puissance financière. Elle a suivi l’Allemagne, mais d’un pas plus lent, sans avoir l’ambition de faire aussi grand et aussi bien qu’elle. Elle ne se dissimule pas toutefois qu’elle a atteint les dernières limites de ses ressources, et on a, à Vienne, le sentiment des embarras inévitables que créeront, au gouvernement de l’empereur François-Joseph, de pareils efforts s’il faut les continuer pendant longtemps encore. À ces légitimes préoccupations viennent s’ajouter les dissidences qui divisent les nationalités diverses dont l’empire austro-hongrois se compose, dissidences exaspérées par l’exagération des impôts et du service militaire. Mais pendant qu’elle remplissait strictement ses devoirs d’alliée de l’Allemagne, l’Autriche mettait un soin particulier à entretenir, avec toutes les puissances indistinctement, avec la Russie notamment, des relations qu’elle s’appliquait à rendre faciles et même cordiales. Aussi supporte-t-elle, sans fléchir visiblement, les charges qu’elle a dû s’imposer, et aucun dissentiment aigu ne la sépare des autres États.

Que ne pouvons-nous en dire autant de l’Italie ! Ce noble pays, berceau de notre civilisation, avait trouvé une nation sœur qui, lui tendant une main amie, l’avait aidé à mettre fin à un douloureux fractionnement plusieurs fois séculaire, à secouer toute domination étrangère. Sous la direction d’un prince habile et clairvoyant, assisté de conseillers éclairés et patriotes, l’Italie avait achevé son relèvement dans des conditions inespérées. Le problème était résolu. Pour conduire son affranchissement à une fin glorieuse, elle avait dû, à l’origine, contracter des emprunts, escompter, en quelque sorte, l’avenir ; elle avait dû recourir au papier-monnaie et au cours forcé. Ses budgets se sont soldés par des découverts pendant les premières années. La sagesse du souverain et l’habileté des ministres étaient parvenues à surmonter toutes ces difficultés, à libérer le pays de ces expédiens onéreux ; et la liquidation de la loi financière accusait enfin un excédent de recettes quand des hommes nouveaux, ayant pris les rênes du pouvoir, ont lancé le pays dans l’aventure de la Triple Alliance. Nous n’avons pas besoin de dire ce qui est advenu. Personne au surplus ne saurait méconnaître l’affligeant spectacle que l’Italie donne aujourd’hui à l’Europe étonnée. Que pourrions-nous ajouter aux aveux faits par M. Crispi en remontant au pouvoir ? « La situation est grave pour l’Italie, a-t-il dit, plus grave qu’elle ne le fut jamais. » Ce qui démontre qu’il est bien sincère, cette fois, c’est la proposition ou plutôt la prière ad misericordiam qu’il a adressée à la représentation