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ouvragé, parmi les fleurs et les lauriers-roses, un vieux cordonnier épluche ses légumes débonnairement, entre ses chats et ses serins.

Plus loin, la grande porte noire d’un noble et sombre hôtel laisse voir sous les voûtes une blanchisseuse matinale occupée à laver son linge, pendant que son fils, tout petit, suivi du chien, se hasarde sur la passerelle branlante qui mène au bateau. Chaque maison a le sien, il la complète, si l’on en juge par les belles fleurs, les arbustes qui le parent. Charmante poésie de la femme sédentaire.

La vénérable église de Saint-Martin, bâtie au XIIIe siècle, m’arrête au passage. Pour paroissiens, des moineaux par centaines qui mènent grand bruit, vont, viennent et piaillent comme gens qui se sentent tout à fait chez eux.

…A midi, mon élève, l’excellent Huguenin, malgré les huit classes par semaine dont il est accablé depuis le ministère Cousin, vient et veut être mon cicérone. Pour l’épargner, je lui dis tout de suite ce qu’il me faut, ce que je veux savoir, la destinée même de Metz, sa formation organique. Alors le mélancolique jeune homme me conduit à la cathédrale, laquelle, pour s’étendre dans son indépendance, s’est mise hors la ville. Nous montons sur les combles, il me place au pied de la flèche, et de là me montre le croisement des routes. A lui seul ce croisement explique pourquoi Metz, abritée derrière le rideau des montagnes, a pu être plus ménagée que le reste du pays, se garder libre et neutre. Les invasions se faisaient plus haut ou plus bas. Ce qui n’empêchait pas la ville d’être vigilante ; elle a réalisé de bonne heure des perfectionnemens ingénieux dans le matériel de la guerre. La flèche elle-même est tout un art de défense savante.

Trêves, Metz, Rome, se valent pour leurs bonnes et solides constructions. A Sainte-Ségoline, dont le curé m’a montré la petite église, Guise n’hésita pas à établir ses batteries sur le toit du chœur pour tirer de là sur Charles-Quint qui voulait passer la Moselle.

Bataille éternelle avec la pauvreté lorraine, avec les damoiseaux de Commercy, de Sarrebruck, de Lamarck, qui souvent engageaient leur épée, leur habit aux Lombards de Metz, puis déclaraient la guerre. La pauvreté de la Lorraine allemande est sensible surtout dans la zone qui s’étend jusqu’à Phalsbourg. Terre vaste et vide, population laide, femmes trapues. Elles prennent leur part des plus rudes travaux. Leur bonnet se matelasse pour porter sur la tête des fardeaux souvent d’un poids énorme. Sous la compression, les traits du visage grossissent, la taille s’équarrit ;