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allemandes ont une bonhomie que je ne trouve pas à nos moineaux français.

Le château ducal (Pfalz) domine sur une hauteur. La porte d’entrée, laide dans le détail, est belle dans son ensemble. De chaque côté, deux soldats de pierre montent la garde. L’un pose son arquebuse pour tirer. Point de concierge, personne non plus dans la vaste cour, si ce n’est, à la fenêtre grillée d’un petit bâtiment, une tête d’homme immobile, sans doute un prisonnier. Au-dessous de la porte un écriteau : « Entrée interdite. »

Au milieu de la cour, un grand vieux tilleul qui semble là pour qu’on y rende les jugemens. Maître du lieu, je m’assois sous son ombre. Autour, tout un champ d’herbes folles. Toujours même silence ; on pourrait se croire dans la demeure des esprits.

A travers la mer ondoyante des graminées, j’arrive au pied d’un escalier qui tourne et s’arrête derrière le château. Il faut descendre pour pénétrer sous la voûte d’un passage sombre… au bout, une seconde cour.

A petit bruit, coule au milieu une fontaine, mariant à merveille son gazouillement uniforme à de faibles modulations lointaines, qu’on dirait d’une harpe éolienne et qui est, en réalité, le son d’un orgue touché doucement, mollement, par une invisible main de femme.

Rien de plus délicieux, qu’une telle harmonie dans cette solitude profonde, en vue de ce paysage grave et doux, grand sans être grandiose, juste à la mesure des pensées habituelles… Mais voici le gardien ; il me voit, accourt et rompt le charme. A regret je le suis. La ville a mis, de ce côté du château, qui donne sur les jardins, son musée et toutes ses collections.


IV. — CE QU’EST POUR L’ALLEMAGNE LA SOUABE. — LE PAYS DE LA VIGNE, STUTTGARD. — ULM, LA SCULPTURE EN BOIS.

Vendredi 1er juillet. — Je quitte Tubingue à sept heures du matin, par un ciel d’orage sous lequel s’étend un petit paysage doux et calme : des pins, des chênes, des sapins dont le feuillage austère s’assombrit encore dans la lumière éteinte, et tourne au noir.

Elle est très belle, la longue rampe qui conduit à Stuttgard. Quelque chose de la descente de Metz. Moins de gaieté, point de fleurs, mais, en revanche, point de fortifications. La Moselle, la France, la guerre de moins.

Je ne suis point de l’avis des gens du Rhin qui méprisent les Souabes. Ce peuple, qui a prouvé sa valeur, est toujours plein