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grâce ne lui était pas interdite, que le fort des forts fit le quatrième portrait, si gracieux, où elle tient son fils sur ses genoux.

N’est-ce pas encore pour répondre aux peintres en petit, qui à ce moment faisaient fureur : les Téniers, les Gérard Dow, qu’il a peint les Amazones, la Déroute de Sennachérib, qui sont à Munich ; la petite kermesse que nous possédons au Louvre ?


VII. — MUNICH ENCORE. — VAN DYCK. — RATISBONNE. — LE WALHALLA.

L’école flamande, dont Rubens est le roi, occupe au premier étage le milieu de la Pinacothèque. Elle éclipse tout. Il y a pourtant des Van Dyck admirables : entre autres, une Sainte Famille, d’une telle suavité qu’on s’explique très bien pourquoi le monde dut passer, dans la peinture, des tyrannies de la force aux douceurs de la grâce.

Dans la disposition d’esprit où je me trouve en quittant Rubens, un de ces Van Dyck, qui n’est pas le meilleur peut-être, mais le plus touchant, m’arrête longtemps et me fait bien songer. C’est un portrait, celui de sa femme qui était la fille de milord Ruthen. La grande dame qui voulut se donner au grand peintre, n’est pas à s’en repentir. Il a bien fallu prendre le costume, la coiffure serrée d’une bourgeoise flamande… La femme anglaise, toute changée qu’elle est, et domptée à sa condition, jette de côté la tête… Qui sait si elle ne sortirait pas de ce fauteuil où elle est assise, de cette maison où elle est entrée il y a quelques années, si elle n’y était liée, rivée par une chaîne de diamant, par une force plus forte que toutes les forces du monde ; et quelle ? Le bras de son enfant, une fillette de cinq ans qui a tant besoin de sa mère, et qui, se mettant obliquement sur son passage, enlace de son petit bras, le bras maternel, et par-dessous prend le fauteuil, de sorte que la mère ne pourrait se lever sans casser le bras de l’enfant. Elle restera, soyez-en sûr.

Celle-ci, à l’inverse de la femme de Rubens, a descendu de condition. L’amour l’a placée dans cette maison, dans cet atelier de peintre, dans ce fauteuil si simple. A peine son costume sec et noir de bourgeoise a-t-il devant quelques lacets d’or, comme pour rappeler le luxe de la maison paternelle. Eh bien, avec tout cela, elle pourrait être plus malheureuse.

Voyez sous ce rideau de pourpre, près d’une colonne, cette grande et belle femme pale, dont la joue est si creuse ! Celle-ci a monté tandis que la fille du lord descendait. Mais qu’elle a payé cher ces colonnes, cette pourpre, cette robe de brocart d’or… Elle les a payées de son bonheur, de sa santé, de sa vie bientôt. On