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régiment, plus faciles à composer qu’on ne le pense. Parlez-leur de ce qu’ils connaissent. Le tout nouveau ne prendrait pas. Donnez-leur de nombreux manuels pratiques, variés, répondant aux carrières que le soldat vient de quitter, qu’il devra reprendre. Voilà des livres qui profiteront. Puis, des récits amusans, à la fois récréation et culture ; enfin de l’héroïsme en action sous toutes les formes.

On m’a toujours objecté que « le soldat ayant de l’instruction deviendrait exigeant ». Qu’en sait-on ? Il faut avoir essayé. proscrivez l’enseignement purement intellectuel, j’applaudis. Mais l’enseignement qui est un moyen de culture morale, qui relève l’âme… je veux dire les livres où la part du devoir, qu’on rencontre partout dans la vie, prime la part du droit ?…

Enseignement sans pédantisme, il faut que la morale, en gardant son austérité, ait quelque chose d’attrayant pour ces natures primitives. Si on leur parle de la nécessité du travail, qu’on le leur montre honoré chez les nations qui ont fait les plus grandes choses, celles dont nous vivons encore.

Pour cet enseignement, une main de femme ne me déplairait pas. Mères, sœurs, épouses même du soldat, du marin, elles auraient plus de chances d’être écoutées. Leur cœur ne part-il pas avec eux ? Le conscrit ne sent-il pas près du sien sa chaleur réconfortante, dans les heures de tristesse et de délaissement ?…

Pourquoi nos femmes, nos princesses, comme ces Romaines de l’antiquité, comme Marie-Thérèse, plus près de nous, ne reprendraient-elles pas le même rôle ? Mater legionum.

Non pour suivre le soldat dans les camps, mais pour influer à distance. Ne craignez pas, si vous leur donnez mission, qu’elles l’amollissent, au contraire. Il y a dans telle parole de femme, lorsqu’elle échappe soudainement à ses entrailles, une seconde fois déchirées, une puissance électrique, propre à faire non pas un, mais cent mille héros.


J. MICHELET.