Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/609

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les territoires sont immenses, des races diverses d’origine et d’aptitudes s’y coudoient et s’y mêlent, des groupes s’enchevêtrent inégalement développés, fractionnés à l’infini, faciles aux déplacemens, parfois engagés entre eux dans des luttes acharnées. Faut-il donc renoncer à présenter de l’institution un tableau d’ensemble ? Il ne peut manquer d’être incomplet ; il ne sera pas nécessairement décevant et faux. Quelques discordances qu’enveloppe l’unité apparente du système, il s’appuie en vérité sur beaucoup d’analogies fondamentales. Il suffira de se souvenir qu’aucune affirmation ne doit être considérée comme absolue, que la parenté des faits laisse place à une foule de nuances, que seuls les traits les plus généraux embrassent tout le domaine.


II

Figurons-nous un groupe corporatif fermé, et, en théorie du moins, rigoureusement héréditaire, muni d’une certaine organisation traditionnelle et indépendante, d’un chef, d’un conseil ; se réunissant à l’occasion en assemblées plus ou moins plénières ; uni souvent par la célébration de certaines fêtes ; relié par une profession commune, pratiquant des usages communs qui portent plus spécialement sur le mariage, sur la nourriture, sur des cas divers d’impureté ; armé enfin, pour en assurer l’empire, d’une juridiction de compétence plus ou moins étendue, mais capable, sous la sanction de certaines pénalités, surtout de l’exclusion soit. définitive soit révocable, de faire sentir efficacement l’autorité de la communauté. Telle au résumé nous apparaît la caste.

Nous sommes en présence d’une organisation héréditaire ; les règles du mariage doivent donc tenir, elles tiennent dans son mécanisme le premier rôle. Il est si frappant qu’on a pu présenter les règles et les restrictions qui le concernent comme l’essence même de la caste. C’est une exagération ; encore est-elle significative.

La polygamie est actuellement, — et quelle qu’ait pu être la règle à des époques antérieures, — le régime autorisé, reconnu, du mariage dans l’Inde. Ce n’est pas à dire qu’elle soit, je ne dis pas universellement, mais même ordinairement pratiquée. La pauvreté y met bon ordre, et aussi, dans un cercle restreint, une lente infiltration des idées de l’Occident. Mais enfin elle existe en droit absolument et souvent en fait. Cependant, sauf des cas particuliers, on en peut sans inconvénient faire abstraction en esquissant l’image de la caste ; d’autant mieux qu’une sainteté particulière parait avoir toujours été attribuée au premier mariage, une autorité ; et une dignité supérieures réservées à la première femme.

Ceci posé, il est permis de résumer dans une vue très