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rasées, à être marqué au fer, à subir une brûlure sur la langue ; ou bien il devra absorber le breuvage réputé purificatoire, à coup sûr très répugnant pour nous, du panchagavya, mixture des cinq produits de la vache : lait, petit-lait, beurre… et le reste. Dans tous les cas, il devra s’humilier devant la caste assemblée, donner des témoignages publics de sa docilité et de son repentir. Par-dessus tout, il offrira à sa caste un repas dont les frais seront à sa charge.

On ferait tort aux Hindous, d’attribuer à leurs seuls instincts de sociabilité le prix qu’ils mettent à cette sorte de banquets. Leur inclination, la propension qu’on a souvent constatée pour les réjouissances collectives et bruyantes chez les populations les plus sevrées par la vie quotidienne d’aisance et de plaisirs, ont bien pu contribuer à en exagérer le déploiement. L’origine même en est sûrement plus grave et mieux justifiée. Si l’exclusion du repas commun est un des effets les plus apparens, les plus inévitables, de la déchéance, l’admission du coupable réhabilité à la table de ses congénères doit être la consécration publique de sa réintégration. Les deux cas sont inverses, mais solidaires ; les deux découlent d’une même source que la suite va nous découvrir, et, pour le dire tout de suite, d’un ordre de préoccupations plus nobles qu’un jugement frivole ne serait tenté de le croire d’abord.

J’ai parlé jusqu’ici comme si cette justice particulière était exercée uniquement par la caste elle-même ou par ses représentans autorisés, au nom de ses usages traditionnels. C’est bien ainsi que se présentent les faits. Mais ces usages ont été incorporés dans le code religieux du brahmanisme, ils sont appliqués au nom d’une autorité religieuse qui se retrempe, si elle n’y prend pas sa source, dans la tradition écrite. Souvent c’est un brahmane qui dirige la procédure, c’est avec l’aide de ses lumières que décide la caste ou son conseil. Quelquefois même, le brahmane semble agir seul. C’est le fait d’une délégation plus ou moins facile.


VII

Dès le début j’ai mis le lecteur en garde contre l’illusion commune qui fait concevoir l’organisation des castes comme un cadre immuable, coupé de cloisons infranchissables, comme un système où l’autorité d’une construction harmonique et réfléchie serait soutenue par le prestige d’une identité toujours intacte. Il faut que j’y revienne. L’esquisse des traits fixes risquerait d’égarer les impressions, si l’on ne voyait en action quelques-uns au moins des agens qui portent la variété, la mobilité, la vie, dans ce