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exaspérés contre les nobles parce qu’ils étaient presque les égaux des nobles ; c’est la différence légère qui se mesure, et c’est ce qui se mesure qui compte. La bourgeoisie du XVIIIe siècle était riche, presque en passe de tous les emplois, presque aussi puissante que la noblesse. C’est ce « presque » qui l’irritait, la proximité du but qui l’aiguillonnait ; c’est le dernier pas à faire qui échauffe toutes les impatiences. — Sans mépriser ce point de vue. il faut dire surtout que la Révolution n’a pas été libérale parce qu’il est plus facile de descendre une pente que de la remonter, et d’aggraver un état que de le guérir. La France était de plus en plus centralisée depuis deux siècles, il y avait toutes les chances du monde que toute secousse la fit entrer davantage dans l’état où elle tendait. Continuer l’œuvre de la royauté était plus facile que d’essayer de la réparer. La Révolution a été plus égalitaire que libérale parce que le travail égalitaire était fait aux trois quarts et que le travail libéral était tout à faire. Ajoutez que le travail libéral ne se fait jamais que de bas en haut, et que la Révolution, centralisée elle-même en son assemblée et en sa capitale, tressaillait de haut en bas ; et enfin que le travail libéral se fait par progrès insensible et lent, et jamais par révolution. — Quoi qu’il en soit, la Révolution a été purement égalitaire. Sa vraie devise a été : régularité, uniformité ; plus de douanes intérieures, plus de législations différentes, plus de pays d’Etat d’un côté et pays d’élection de l’autre, plus de justices particulières, plus de droits particuliers ou locaux. Tout cela revient à : égalité. L’uniformité, la régularité, l’unité de procédés et d’administration, c’est l’égalité parfaite entre les citoyens. Cela n’empêche point le despotisme, et même peut le favoriser ; mais cela permet à chaque homme dans un pays de dire : « Personne au moins n’est plus libre que moi », ce qu’il ne faut pas considérer comme une consolation misérable ; c’est peut-être la plus réelle que les hommes aient trouvée dans leur misère éternelle.

Remarquez de plus, car les choses ne sont jamais aussi tranchées qu’elles paraissent à première vue, que la Révolution a pu avoir, quand elle travaillait pour l’égalité, l’illusion qu’elle faisait quelque chose pour la liberté. Ce que l’égalité, la régularité, l’uniformité, et en un mot la centralisation assurent dans un pays, c’est une espèce de liberté individuelle, au fond un peu illusoire, mais réelle encore, et dont, du reste, l’illusion est douce. Le citoyen, dans un pays centralisé, rencontre partout les mêmes lois, dures peut-être, mais les mêmes, les mêmes règlemens, vexatoires peut-être, mais les mêmes, la même administration, oppressive peut-être, mais la même ; cela rend la vie plus aisée, « l’aller et le venir » plus commodes, met dans l’existence une plus grande facilité, un moindre