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nécessaire la centralisation par cela seul qu’elle est. Une ville administrée par ses notables pourrait, à la rigueur, s’administrer non seulement sagement, mais politiquement, c’est-à-dire en considération des intérêts généraux de la nation ; mais, comme l’a très bien reconnu Tocqueville, la démocratie n’a aucun goût pour les notabilités, et dans la ville que je suppose ce ne sont pas les notables que le suffrage universel chargera d’administrer. Force est donc bien que cette ville soit pourvue du droit d’initiative et de première délibération, mais que ses résolutions soient soumises au pouvoir central, et que la décision et le dernier mot appartiennent à celui-ci. La démocratie, en général, aime l’état autoritaire ; mais elle va plus loin qu’à l’aimer : elle le nécessite.

Il faut donc tenir pour plus ingénieuse que solide cette distinction entre la centralisation politique et la centralisation administrative dont on a fait beaucoup d’état. Quoi qu’on fasse, et plus on étudie cette question plus on s’en persuade, une décentralisation, quelle qu’elle soit, est toujours un fédéralisme et à elle s’appliquent comme à lui ces paroles si justes de Tocqueville : « Le peuple qui, en présence des grandes monarchies militaires de l’Europe, viendrait à fractionner sa souveraineté me semblerait abdiquer par ce seul l’ait son pouvoir, et peut-être son existence et son nom. »

Y a-t-il d’autres moyens d’obvier aux défauts de la démocratie ? À la vérité il n’y en a pas d’autres que ceux qui consistent à conserver dans la démocratie les élémens aristocratiques à peu près conciliables avec elle, et dès que Tocqueville cesse d’être décentralisateur, il devient plus ou moins aristocrate. D’abord il est parlementaire, ce qui est commun à tous les libéraux, mais ce qui est, sans qu’ils s’en doutent toujours, tandis que la démocratie ne s’y trompe pas, une dernière forme d’aristocratisme. La vraie démocratie c’est le gouvernement direct. L’élection et la représentation drainent. — car il serait impertinent de dire : épurent, — la pensée, le sentiment ou le vœu populaire avant de les convertir en lois. La représentation nationale est une aristocratie, non seulement ouverte, mais mobile, mais c’est une aristocratie encore. Une fois constituée, elle seule délibère régulièrement dans le pays, et elle seule gouverne. Elle est un pays légal établi pour quatre ou cinq ans au centre du pays. Aussi, quoiqu’elle n’ait aucun des caractères ordinaires des aristocraties, hérédité, traditions, perpétuité, reste-t-elle encore comme entachée de la note aristocratique aux yeux de la foule. Celle-ci cherche, par différens moyens, mandat impératif, comptes à rendre périodiquement, referendum, à diminuer son autorité, et la lutte du