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admiration. Lorsqu’il eut prononcé devant le Reichstag son premier discours du trône, il affecta, contre l’usage, de tendre la main au prince, et le 31 décembre 1888, il lui adressait un compliment de nouvelle année ainsi conçu : « Cher prince, l’année qui nous a apporté de si dures épreuves et des deuils irréparables est sur le point de finir. Ce qui me remplit de joie et de consolation, c’est la pensée que vous restez fidèlement à mes côtés et que vous êtes fort et robuste. C’est de tout mon cœur que j’appelle sur vous la bénédiction du ciel, et que je demande à Dieu qu’il me soit donné de travailler longtemps avec vous à la prospérité et à la grandeur de notre pays. » En vain la Gazette de la Croix, principal organe du parti féodal, s’étudia à brouiller les cartes, à jeter la zizanie entre le souverain et son conseiller, et représenta M. de Bismarck comme un homme qui ne pensait qu’à lui, qui voulait être le maître, qui entendait gouverner et régner, qui imposait à l’empereur toutes ses combinaisons politiques et l’avait forcé de transiger avec les partis du cartel, c’est-à-dire avec une majorité formée par la coalition des libéraux et des conservateurs modérés. Le Moniteur de l’Empire déclara, le 2 octobre 1889, « que Sa Majesté l’empereur et roi avait pris connaissance de certains articles récemment parus et les avait formellement désapprouvés, qu’elle ne permettait à aucun parti de se donner l’air d’avoir l’oreille de l’empereur. » L’incorrigible journal ayant renouvelé ses attaques, Guillaume II témoigna hautement le déplaisir qu’il en ressentait, et fit savoir qu’il avait donné l’ordre de bannir la Gazette de la Croix de tous les châteaux royaux.

Une seule chose, remarque justement M. Blum, pouvait donner à penser à M. de Bismarck. Si son jeune souverain se gouvernait par ses conseils et semblait ne vouloir rien changer à sa politique, il faisait d’autre part beaucoup de changemens dans le personnel. C’était comme une satisfaction donnée à son goût pour les nouveautés, à l’inquiétude de son esprit. A la cour comme dans la diplomatie, dans les ministères, dans l’armée, les anciens titulaires se voyaient supplanter par de nouveaux venus. En 1888, 65 généraux et 156 officiers d’état-major avaient été mis à la retraite ; sur les quatorze corps d’armée, huit reçurent de nouveaux commandans. Il semblait que Guillaume il voulût répandre un peu de sa jeunesse autour de lui, et les barbes grises qu’on éconduisait demandaient en vain des explications : on se contentait de leur alléguer la volonté souveraine du maître.

Le 14 août 1888, le maréchal de Moltke avait cessé d’être le chef de l’état-major général ; le comte Waldersee prit sa place, et, peu de temps après sa nomination, le bruit courut à Berlin qu’il était en désaccord avec M. de Bismarck sur des questions concernant la politique étrangère. Des journaux qu’on croyait inspirés par le général reprochèrent au chancelier de faire à la paix de l’Europe de trop grands sacrifices.