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je vous prie de croire que, lorsque le gouvernement que je représente a annoncé des projets, il a l’intention de les déposer. » On conte que dans l’un des derniers conseils tenus à l’Elysée, lorsque chacun des ministres eut fait part à ses collègues des réformes qu’il se proposait de présenter aux Chambres, réduites en projets de loi, l’on demanda à l’un des membres du cabinet, qui se taisait, quelles étaient ses intentions sur cette matière. Ainsi interpellé, le ministre silencieux, — nommerai-je M. Spuller, — répondit avec une spirituelle brusquerie : « Des réformes ! Est-ce que vous vous figurez que le pays veut vraiment des réformes ? Mais il n’en veut pas du tout ! »

Prise dans le sens que son auteur évidemment lui donnait, la boutade du ministre de l’instruction publique signifie que le pays veut avant tout le bon ordre et la gestion prudente de ses affaires. Il a raison ; la première de toutes les réformes, c’est de mettre fin au déficit chronique, c’est d’abord de rembourser la partie de la dette flottante qui n’est gagée par aucune ressource normale, et ensuite de créer un fonds sérieux pour l’amortissement. L’État doit songer à réduire les engagemens qu’il a, dès à présent, contractés et qui l’accablent, par exemple vis-à-vis des chemins de fer, comme on le verra par le budget de 1895, plutôt qu’il ne peut en prendre de nouveaux. Dans ces conditions, il ne saurait admettre aucune nouvelle dépense, ni supprimer ou réduire aucun impôt, à moins de le remplacer par un autre plus équitable, qui par suite semblera moins lourd.

Les impôts qui subsistent en effet peuvent être mieux répartis ; ainsi l’impôt foncier est très inégal ; il frappe beaucoup plus durement certains départemens que certains autres. En aucun cas on ne devrait dégrever proportionnellement partout d’une manière uniforme, puisque ainsi l’on perpétuerait des injustices choquantes ; mais atténuer seulement, par la révision du cadastre, la charge des régions qui paient plus que leur quote-part dans l’ensemble.

Cet ensemble, qui forme un total de 340 millions, n’entre que pour moitié dans les caisses de l’État. Le principal de l’impôt foncier ne dépasse pas 170 millions ; le reste appartient aux départemens et aux communes. Si l’on défalque de ces 170 millions la portion afférente à la propriété bâtie, on s’aperçoit qu’en faisant cadeau aux détenteurs du sol rural des 68 millions de boni de la conversion, on eût dégrevé des deux tiers peut-être de ce qu’ils paient à l’État des propriétaires souvent fort à leur aise. Car, s’il y a des départemens où les impôts, en vertu du bail, sont à la charge du fermier, il y en a encore bien davantage où les taxes de toute nature incombent directement au maître. Dans un cas comme dans l’autre, ce seraient toujours les propriétaires qui, par une augmentation des baux en cours, au fur et à mesure de leur expiration, profiteraient du dégrèvement. Nous n’ignorons pas que les propriétaires fonciers traversent une crise pénible ; il en est