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Interrogé sur la mesure récemment adoptée par les sénateurs, un président de tribunal de commerce estime que « c’est faire un premier pas dans une voie très dangereuse ; pourquoi faire voter les femmes ici et pas là ? » Nombreux sont encore les gens qui tiennent pour la théorie du bonhomme Chrysale, pour la femme fileuse de laine et gardienne de maison ; ce qui, en français de 1894, veut dire que, selon leur position sociale, le rôle des épouses dans le ménage doit être exclusivement d’éplucher les légumes ou de faire de la tapisserie.

Autre, et non moins étroite, est la conception galante et sentimentale de la « dame » chevaleresque des châteaux forts, du « sexe aimable » et tout à l’ambre des époques poudrées. Ce sont là des types de femmes-fleurs, de femmes-joujoux, sucre ou parfum de l’existence masculine. Sauf qu’elles ne sont pas tenues sous triple serrure, la condition des femmes de nos jours se ressent encore, socialement et politiquement, des harems de l’Orient païen, des reproches faits par l’Église aux filles d’Eve, pour leur part de responsabilité héréditaire dans l’initiative pécheresse de leur grand’mère, de l’organisation despotique de la famille par le droit romain, duquel procède notre code civil, et des souvenirs du droit féodal, qui n’était pas moins dur aux femmes que le droit romain. « Femme est en garde », disaient les coutumiers du moyen âge, pour exprimer la perpétuelle minorité à laquelle était vouée la moitié du genre humain sous la tutelle de l’autre moitié.

On trouverait un motif suffisant à cette sujétion éternelle dans ce fait que, jusqu’à ce siècle, la force physique et le courage qui la met en valeur, furent le ciment avec lequel les sociétés ont été, non seulement construites, mais aussi conservées. Dans nos contrées, où les amazones du Dahomey sont inconnues, l’homme seul, étant ou pouvant être soldat, avait des privilèges en rapport avec ses obligations. En ce siècle-ci, quoique le militarisme pacifique nous absorbe et nous dévore, on s’aligne rarement, Dieu merci, et pendant peu de temps. Dans deux ans tout officier subalterne jouira de la retraite, à laquelle lui donneront droit ses vingt-cinq ans de service, sans avoir peut-être une seule fois tiré l’épée contre un ennemi quelconque ; quant au séjour à la caserne de la généralité des mâles adultes, il n’est pas tellement dangereux, ni tellement long, qu’il justifie toutes les prérogatives que nous nous sommes réservées.

Sauf ce service pourtant, les citoyennes, nos mères, nos femmes, nos sœurs et nos filles sont astreintes, comme nous, à toutes les charges de l’État. En Europe, dans plusieurs pays, les femmes jouissent de l’électorat municipal. En Angleterre, la Chambre des communes adopta, en 1886, une loi accordant aux femmes le droit de vote dans les élections politiques. Le triomphe définitif de cette motion était certain, et la dissolution du Parlement empêcha seule la Chambre des lords de statuer sur le bill. Un autre bill, en ce moment soumis aux