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Comme a fort bien répondu au criminaliste italien l’une des leaders raisonnables de la campagne féministe : « Vous arguez contre nous de ce que la femme de génie est l’exception ! Et le député de génie, est-ce la règle ? » Je parle de leaders raisonnables ; c’est qu’en effet il en est qui ne le sont pas du tout. Le groupe des avocates fougueuses, passionnées, qui réclame d’une manière burlesque, a beaucoup nui au droit des femmes. Il suffirait à jeter le discrédit sur une cause très digne d’avenir. Il n’en est pas de même en Angleterre où la Women’s liberal fédération a pour présidente Mme Gladstone, ni aux États-Unis, où le congrès international des femmes, qui a délibéré à Chicago, l’été dernier, comptait 5 000 déléguées des associations féminines de tous les pays, recrutées dans tous les rangs de la société. La présidente du comité américain d’organisation avait en outre recueilli des adhésions précieuses, parmi lesquelles celle de l’impératrice Frédéric d’Allemagne.

C’est en procédant sagement et modérément que les femmes françaises pourront se faire écouter des pouvoirs publics. Avant de revendiquer les droits politiques, elles devront se confiner longtemps dans le domaine de l’électorat municipal ; elles feront bien même de s’occuper surtout d’accroître leurs droits civils. Un avocat général d’Amiens prenait pour sujet de son discours, à la rentrée de novembre : « La femme et sa condition dans la société d’après notre législation. » La largeur de vues avec laquelle il a traité de l’autorité maritale et du devoir d’obéissance imposé aux femmes, par le code, aurait à coup sûr fortement scandalisé la magistrature d’il y a un demi-siècle. Ces jours derniers, Mlle Jeanne Chauvin, « docteur en droit », développait, dans l’organe des doléances féminines, une double réclamation ayant pour but de faire reconnaître aux femmes la capacité d’être témoin dans les actes publics ou privés et aux épouses mariées sous le régime de la communauté légale, — comme le sont les 99 centièmes des ménages populaires, — la capacité de disposer du produit de leur travail personnel. D’après les lois en vigueur, le mari, même indigne, peut s’emparer légitimement de l’argent gagné par sa femme. La femme, en cas d’opposition de son mari, ne peut pas seulement retirer de la caisse d’épargne les économies qu’elle y a placées en son propre nom.

Il faudrait être vraiment ennemi par principe de tout progrès social pour se refuser à améliorer un état de choses qui n’a pour lui que d’être vieux. Comment pourrions-nous continuer à chérir les ornières de notre passé quand le monde se transforme jusqu’à ses antipodes, quand les tenans les plus acharnés de l’immobilité, comme la Chine et le Japon, sont, ou déjà ébranlés, ou en plein mouvement de rénovation ? Le Japon a, comme l’Europe, aujourd’hui, des ministres en train de méditer des réformes et sur le point de réaliser des économies par