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Corée, est aujourd’hui achevée sur une longueur de 470 kilomètres, dont près de la moitié est déjà en exploitation. Doit-on s’affliger ou se réjouir de cette pénétration par l’Europe d’un monde si longtemps fermé, auquel nous apportons d’abord les moyens de nous nuire et qui ne se laisse envahir ainsi par nous que parce qu’il nous déteste ? Nos arrière-neveux pourront seuls le dire. Les peuples ne font le plus souvent connaissance qu’à coups de fusil, et, comme disait Voltaire, nos aïeux, pour se procurer du poivre, ont dû jadis répandre du sang.

En qualité de voisins immédiats des Célestes, dans notre colonie du Tonkin, nous avons intérêt à entretenir avec eux de bons rapports. Notre diplomatie vient d’obtenir qu’un fonctionnaire des douanes chi noises, mandarin d’un rang élevé, soit placé à Song-Phong, au confluent du fleuve Rouge et du Nam-Chi. Cette mesure contribuera à la disparition des bandes de pirates, qui tiraient leur sécurité et leurs profits de la tolérance des petits chefs locaux. On a beaucoup discuté ces derniers temps sur la situation exacte du Tonkin, que les uns représentaient comme complètement prospère, sous la direction bienfaisante de M. de Lanessan, que les autres nous donnaient comme désolé sans cesse par le banditisme. Les déclarations de M. Le Myre de Vilers, à son retour de sa mission au Siam, ont fait la part des exagérations en divers sens auxquelles notre colonie d’Indo-Chine a servi de thème.

M. de Lanessan, en sa qualité d’homme du Midi, — et même du Midi et demi, si j’osais risquer ce mauvais jeu de mots, — est doué d’une imagination dont il n’est pas toujours maître, et, avec un grain de tartarinisme, transformant une espérance vague en projet précis, il s’est fait ou laissé couvrir de trop de fleurs peut-être par les corps élus du Tonkin et par la presse locale. Cependant les alarmistes se trompent et nous trompent en affirmant que tout va mal. La sécurité du colon est aussi complète que possible dans le Delta ; la moindre échauffourée aux confins d’un territoire militaire est prise bien à tort à Paris pour une insurrection continentale. Il a été beaucoup fait depuis quelques années au point de vue industriel, et surtout au point de vue agricole. Bref, si la pacification complète doit être, pour le Tonkin, comme elle a été pour l’Algérie, l’affaire d’une trentaine d’années d’occupation, la colonie est néanmoins dans la voie d’un progrès incontestable.


Ve G. D’AVENEL.

Le Directeur-gérant, F. BRUNETIÈRE.