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trouvèrent plus simple, et probablement aussi plus avantageux, au lieu de les prendre chez leurs voisins, de les fabriquer eux-mêmes. Le plus souvent ils se contentaient de les copier exactement ; quelquefois ils se permirent de mêler ensemble les procédés des deux peuples dont ils imitaient les produits. Ce fut leur plus grande audace et ils n’arrivèrent pas à créer de tout point une œuvre d’art originale. Ce n’étaient pas des artistes, c’étaient des industriels, des commerçans, et pour eux l’art ne fut jamais qu’un revenu. Cependant ils possédaient une remarquable habileté demain qui les rendait très propres à certains ouvrages. Nous avons d’eux, par exemple, des patères en métal, avec des figures gravées à la pointe ou repoussées au marteau, qu’on a trouvées au fond de sépultures italiennes ; la place qu’elles y occupent montre l’estime qu’on en faisait, car on n’en terrait avec le mort que ce qu’il avait de plus précieux. Et vraiment elles méritaient d’être ainsi religieusement conservées. Si, après tant de siècles, nous ne pouvons nous empêcher d’être frappés en les étudiant de la sûreté du dessin et de la finesse de certains détails, qu’on juge de l’admiration qu’elles devaient exciter chez ces peuples primitifs, qui n’étaient pas habitués aux élégances de la vie. Elles ont éveillé chez eux le sentiment confus de la beauté et leur ont procuré les premières jouissances des arts.

Les Grecs eux-mêmes, qui allaient bientôt rivaliser avec les Phéniciens, et qui devaient leur enlever la clientèle du monde, furent d’abord, comme les autres peuples, tributaires de leur industrie. Quand les héros homériques veulent faire un cadeau d’importance, ils donnent « un cratère d’argent que les artistes sidoniens ont exécuté avec soin », et pour laisser entendre qu’il n’y a rien de plus précieux, ils disent que c’est « un ouvrage d’Héphaïstos ». Ces Phéniciens sont des marchands fort habiles et très prévoyans. Ils ne cherchent pas seulement à plaire aux guerriers, ils ont aussi, dans leur pacotille, de ces petites merveilles qui font la joie des femmes, des flacons de verre coloré, des bijoux d’or et d’argent, fibules, anneaux et bracelets, colliers de perles ou de pierres fines, des étoffes brodées par les esclaves lyriennes, « qui savent faire de si beaux ouvrages », et ces teintures en pourpre, qu’ils tirent des coquillages de leur pays, et dont ils ont gardé si longtemps le monopole. Il est naturel que des gens qui viennent de si loin, à de si longs intervalles, et qui apportent de si belles choses, soient fort impatiemment attendus. Nous pouvons aisément nous figurer l’accueil qu’ils reçoivent : et même quand les écrivains anciens ne nous en auraient rien dit, il nous suffirait pour l’imaginer de voir comment les choses se passent de nos jours : dans ce vieil Orient, où rien ne change, le présent fait