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chez lui, on l’ensevelissait avec une lampe allumée, on mettait à sa portée des alimens, des objets de toilette ou de plaisir, tout ce qui pouvait entretenir ou charmer ce reste de vie qu’on lui supposait.

Les tombes du Père Delattre doivent être fort anciennes ; on a conjecturé qu’elles remontent aux premiers établissemens des Phéniciens, à l’époque où ils n’occupaient encore qu’une bande de terre autour du port, et où Byrsa ne contenait ni palais, ni temples et n’était qu’une nécropole. Une autre découverte, qu’on a faite dans ces dernières années, nous ramène à des temps plus rapprochés de nous : il s’agit des stèles de Tanit. On les a trouvées entre ce qu’on appelle la colline de Junon et Byrsa, le long d’une route creuse, qui va de la mer aux grandes citernes et qui paraît suivre le tracé d’une voie antique. Ce sont de petites dalles de pierre, d’environ 30 centimètres, qui se terminent par une sorte de fronton en pointe, avec un acrotère de chaque côté. Comme elles ressemblent aux petits monumens qui surmontent les tombes dans les cimetières musulmans, on a cru d’abord qu’elles étaient employées au même usage ; mais les inscriptions qu’elles portent et les lieux où on les a trouvées montrent bien qu’elles devaient avoir une autre destination. Il est sûr que c’étaient des ex-voto et très vraisemblable qu’elles étaient placées dans quelque temple phénicien. Ces temples, M. Perrot l’a très bien montré, ne ressemblaient guère à ceux de la Grèce et de Rome. Tandis que les Grecs attachent la plus grande importance à la cella, c’est-à-dire à la demeure même du Dieu, à la chambre qui contient son image, et lui subordonnent le reste de l’édifice, l’architecte phénicien songe surtout à bâtir une vaste cour, ou, si l’on veut, une grande salle découverte, entourée de portiques, dans un coin de laquelle il loge tant bien que mal le petit édicule où l’idole est enfermée[1]. C’est dans ces cours, en face de l’autel, que devaient se trouver nos stèles, les unes placardées contre le mur, les autres plantées en terre. Toutes se ressemblent ; elles contiennent à peu près les mêmes symboles, une main levée vers le ciel, image de l’invocation et de la prière, la représentation grossière et au trait d’une forme humaine, où le corps est figure par une. sorte de triangle, les bras par une ligne droite, la tête par une boule. Un peu plus bas on lit une inscription, en caractères puniques, où la formule est toujours la même. En voici une, qui

  1. Encore aujourd’hui, la grande mosquée de la Mecque nous montre que les Sémites de tous les temps sont restés fidèles à ce type de temple que leur avaient laissé leurs pères. On peut en voir une reproduction fort intéressante dans le livre de M. Perrot auquel j’ai déjà fait tant d’emprunts. C’est une très grande cour encadrée dans un portique, et qui contient la tour carrée appelée Caaba, où se trouve la fameuse pierre noire, objet de la vénération des musulmans.