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les vaisseaux. Autour de l’autre régnaient de grands quais dans lesquels on avait ménagé une série de deux cent vingt cales, dont chacune pouvait contenir un vaisseau de guerre ; et au-dessus on avait construit des magasins pour les agrès. L’élégance s’y mêlait à l’utile. « Au-devant de chaque cale s’élevaient deux colonnes d’ordre ionique, qui donnaient à l’ensemble l’aspect d’un portique. » Ce qu’il y avait d’original, c’est qu’au milieu de ce second bassin se trouvait une île ronde qu’un chenal reliait à la terre. Dans cette île on avait construit l’amirauté. C’était un édifice assez élevé pour dominer la terre et les flots ; de là on pouvait non seulement surveiller les ports, mais regarder ce qui se passait au large. Au contraire, de la mer les ports restaient invisibles, et même du port marchand, séparé de l’autre par une double muraille, il n’était pas possible d’apercevoir ce qu’on faisait dans le port de guerre.

Tout cela n’a pas entièrement disparu, et il en reste assez pour qu’on puisse encore aujourd’hui vérifier l’exactitude de la description d’Appien. L’entrée des ports devait être du côté du lazaret, un peu plus loin qu’El-Kram, mais les constructions qu’on a faites en cet endroit ne permettent plus d’en trouver les traces. Du port marchand il reste une flaque d’eau qui croupit au milieu d’un champ et que restreint encore une jetée qui conduit à la maison de campagne du bey ; mais le contour du bassin est visible et l’on peut s’en figurer l’étendue. Une autre marc indique l’emplacement du port militaire ; elle baigne un terrain presque circulaire, où nous reconnaissons du premier coup d’œil l’île sur laquelle était bâtie l’amirauté. Voilà donc les ports de Carthage ! Que de souvenirs ces lieux nous rappellent ! Mais il faut reconnaître que d’abord ils ne semblent pas tout à fait y répondre. Le spectacle qu’on a sous les yeux, lorsqu’on les regarde, paraît mesquin quand on songe aux grands événemens dont ils ont été le théâtre. Lors même que, par la pensée, nous rendons aux ports leurs anciennes proportions et nous les débarrassons de la vase qui les comble, nous ne pouvons nous empêcher de les trouver petits, et nous nous demandons comment ils ont pu suffire à contenir le commerce du monde. Je retrouve, en les parcourant, l’impression que m’a faite le port de Trajan à Ostie, qui causait une si vive admiration aux anciens ; aujourd’hui que la mer s’est retirée et qu’il est abandonné au milieu des terres, il ne semble plus être qu’un étang médiocre. Ceux de Carthage sont pourtant un peu plus grands qu’ils ne paraissent au premier aspect. On a calculé que leur étendue égale à peu près celle de l’ancien port de Marseille et qu’ils pouvaient abriter plus d’un millier de vaisseaux. C’est bien quelque chose. N’oublions pas d’ailleurs que les navires qui venaient aborder ici avaient d’autres mouillages. Sans parler du