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Schopenhauer contre l’intelligence. Que serait la volonté même sans la « représentation » ? qu’aurait-elle à vouloir de déterminé si elle était toute renfermée en soi au lieu de s’appliquer à tel ou tel objet ? On ne peut vouloir à vide ; on ne peut agir sans discerner plus ou moins nettement le terme de son action, sans prendre un point d’appui dans ce monde des objets qui est proprement le monde de l’intelligence.

Le darwinisme nous en apporte une dernière preuve. Dans la « lutte pour la vie », l’intelligence est apparue comme une condition de supériorité : aussi la voyons-nous se développer de plus en plus. Inutile, elle fût restée embryonnaire. Comment donc négliger, parmi les caractéristiques d’un être, le degré, la forme, la direction dominante de son intelligence, c’est-à-dire du pouvoir qu’il a de s’adapter sciemment au milieu ou de l’adapter à lui-même ? M. Ribot reproche aux philosophes (et plusieurs l’ont mérité) leurs incurables « préjugés intellectualistes », c’est-à-dire « leur effort à tout ramener à l’intelligence, à tout expliquer par elle, à la poser comme le type irréductible de la vie mentale ». Certes, il ne faut pas tout réduire à l’intelligence, même le plaisir et la douleur, même le besoin et l’appétit ; mais, d’autre part, ne réduisons pas l’intelligence elle-même à ce qui n’est point elle ; ne la supprimons pas, comme dérivée et secondaire, parmi les facteurs du caractère humain, alors qu’elle est le ressort essentiel de l’évolution humaine. M. Ribot a beau dire que la vie végétative précède la vie animale. « qui s’appuie sur elle » ; que la vie affective précède la vie intellectuelle, « qui s’appuie sur elle, » le physiologiste définira-t-il pour cela l’animal par ses fonctions uniquement végétatives ? et le psychologue doit-il caractériser les individus par leurs fonctions uniquement affectives ? Dans l’arbre, c’est la fleur qui s’épanouit en dernier lieu aux extrémités et aux sommets ; elle n’en condense pas moins en elle-même la puissances de la vie. De même, la conscience est la fleur où toute la sève intérieure vient se concentrer, où l’être humain est en raccourci, et cependant en sa plénitude.


II

Ce sont, à notre avis, les manifestations les plus fondamentales de la vie consciente, avec leurs rapports de dépendance et de subordination, avec leurs lois essentielles d’harmonie et leurs lois secondaires d’opposition, qui doivent servir de base à une classification naturelle des caractères. M. Ribot, lui, n’admettant que deux fonctions psychiques essentielles, sentir et agir, n’admet que des sensitifs et des actifs, auxquels il ajoute les apathiques,