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souffrir, s’il le faut, en se disant que c’est la condition de notre rang, de notre dignité parmi les êtres.

D’après ce qui précède, le grand « genre » des sensitifs doit se subdiviser en trois « espèces ». Une fois mis à part, au nombre des « équilibrés, » les sensitifs doués de beaucoup d’intelligence et de beaucoup de volonté, il nous restera trois groupes : 1° les sensitifs ayant peu d’intelligence et peu de volonté ; 2° les sensitifs ayant de l’énergie volontaire, mais peu d’intelligence ; 3° les sensitifs ayant peu de volonté, mais beaucoup d’intelligence. Dans le premier groupe, la sensibilité nerveuse est presque seule en évidence : elle prédomine aux dépens de tout le reste. Nous nous rapprochons du type de l’enfant et même du type de l’animal. Le cerveau étant peu développé, les émotions restent plus viscérales que cérébrales. C’est ce qui fait que ces caractères méritent par excellence le nom d’ « émotifs », car l’émotion est, selon la remarque ! de Bichat, en grande partie produite par les contre-coups du plaisir ou de la douleur dans les viscères. Le « trouble de l’âme », peturbatio animi, est ici le reflet du trouble organique.

Chez ces caractères dont la sensibilité n’est pas développée par l’intelligence, les souvenirs demeurent simples, peu nombreux, voisins des sensations et des émotions organiques. De là dérivent d’importantes conséquences. En effet, les sentimens simples, qui résultent, de l’excitation du cerveau en un seul endroit très limité, tendent à produire aussitôt tous leurs effets sans exciter d’autres sentimens ; ils agissent donc comme isolés, sans le contre poids d’idées et de sentimens simultanément excités par voie d’association. Il en résulte le genre de caractère qu’on nomme impulsif et qui appartient aux émotionnels peu intellectuels. Chez eux, la passion du moment est tout : elle se manifeste exclusivement, avec soudaineté et avec violence, sans opposition de la part des autres sentimens, ni des idées auxquelles ils sont liés. C’est une décharge qui se rapproche de l’action réflexe, ou, comme dit Spencer, une conclusion soudaine exécutée sans retour possible. En outre, la décharge nerveuse étant ainsi immédiate et complète, il en résulte un épuisement rapide. Si donc une nouvelle passion vient à naître ; chez les hommes de ce genre, elle agira à son tour comme si elle était seule. De là l’inconstance et l’imprévu des démarches chez les émotifs sans intelligence ni volonté. La seule manière dont ils puissent acquérir quelque unité dans le caractère, c’est la prédominance exclusive d’une passion déterminée. Ils sont donc tantôt mobiles et incohérens, tantôt immobilisés et unifiés artificiellement par une sorte d’absorption