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intérieure de suggestion constante et maladive, qui rapproche leur passion dominante de la monomanie.

Quant au second groupe de sensitifs, — ceux qui, tout en ayant encore peu d’intelligence, ont assez d’énergie volontaire, — ils vaudront ce que vaudront le petit nombre de sentimens simples et peu réfléchis qui mettront en jeu leur volonté. Ces caractères peuvent être fort dangereux, s’ils ont à la fois la brutalité des émotions et la brutalité de l’énergie à leur service. Beaucoup de criminels rentrent dans ce type, qui a pour dominante la violence.

Au contraire, joignez à la sensibilité l’intelligence, même avec une volonté médiocrement énergique, et vous verrez déjà le tempérament se rapprocher du caractère. A mesure que, sous l’influence des idées, la sensibilité se développera et s’enrichira, les sentimens deviendront de plus en plus complexes et mieux associés à d’autres sentimens. Qu’est-ce, par exemple, qu’une émotion esthétique ou morale ? Une savante combinaison de sentimens plus simples, tout un monde de perceptions en raccourci, où viennent se résumer des souvenirs et des inductions sans nombre. Par cela même, les points de contact restent multiples dans le cerveau avec d’autres sentimens plus ou moins voisins. De là des liaisons possibles qui, de proche en proche, s’étendent à des masses entières d’idées. La vibration communiquée se propageant ainsi dans tout, le cerveau, le surplus passe seul dans les viscères. Il y aura donc ici beaucoup moins de place à ce que Spencer appelle fort bien « les conflagrations soudaines de l’émotion ». Le réveil spontané d’une ou de plusieurs idées contraires à la passion présente retardera, dans la plupart des cas, ou en corrigera les manifestations extérieures. Au lieu d’émotionnels impulsifs, nous aurons des sensitifs réfléchis et intellectuels.

Il est vrai que le type impulsif peut se trouver aussi chez des hommes de grande intelligence, comme Benvenuto Cellini ou Berlioz. C’est que, chez eux, une grande émotivité viscérale et cérébrale s’allie à une intelligence également développée, surtout à une vive imagination. Sous l’empire de la passion du moment, ils retombent au rang des sensitifs incapables de se contraindre. Amoureux de miss Smithson, « je ne composais plus, écrit Berlioz, mon intelligence semblait diminuer autant que ma sensibilité s’accroître, Je ne faisais absolument rien… que souffrir. » La passion artistique avait chez Berlioz une telle violence, qu’elle envahissait non seulement tout le cerveau, mais le corps entier. Conduisant l’orchestre pour l’exécution de son tableau du Jugement dernier, le terrible clangor tubarum lui communiqua un tremblement convulsif. qui le contraignit de s’asseoir et de laisser