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de l’intelligence, c’est toujours même discipline, mêmes principes, car tout se tient et il serait monstrueux de supposer que l’école pût, en distinguant les deux élémens et en donnant la préférence à l’un sur l’autre, produire un homme qui serait instruit et ne serait pas élevé. Cela, une cervelle anglaise, qu’elle soit d’un homme du monde ou d’un homme du métier, ne peut pas plus le concevoir qu’une bouche anglaise l’exprimer[1].

Dans la vie de l’enfant, le physique se développe et le moral s’éveille avant l’intelligence : l’éducation doit suivre la marche de la vie.

« Il faut être un bon animal, c’est la première condition du succès dans la vie ; et d’être une nation de bons animaux est la première condition de la prospérité nationale. » En posant il y a trente ans cet axiome dans son traité de l’éducation, Herbert Spencer exprimait l’opinion de la majorité de ses concitoyens, parmi ceux qui pensent ; mais il n’avait pas encore le peuple avec lui. Et, après avoir déclaré que « la conservation de la santé est un de nos devoirs, que tout préjudice porté volontairement à la santé est un péché physique, » il pouvait ajouter alors : « Peu de gens paraissent comprendre qu’il existe une chose dans le monde qu’on pourrait appeler la moralité physique. » Mais il a été entendu. Le peuple anglais est aujourd’hui pénétré de cette vérité. et nul ne pratique plus assidûment le respect du corps, dont le commencement est la propreté et dont l’hygiène est le code. L’exemple a été donné par les classes supérieures de la société et suivi par toutes les autres à mesure qu’augmentaient leur instruction et leur bien-être. L’hygiène et même la propreté exigent, surtout sous un climat ennemi, de l’intelligence et de l’argent[2].

Les poètes et les médecins, les philosophes et les hygiénistes

  1. Nous ne parlerons pas ici de l’éducation intellectuelle. Il n’est ni dans notre plan, ni de notre compétence d’exposer et de critiquer les méthodes pédagogiques an glaises. Nous avons tort peu à leur emprunter d’ailleurs, si ce n’est, dans les programmes, la mesure. Nous nous en tiendrons ace qui concerne l’éducation physique et morale où réside la véritable originalité du système anglais.
  2. Chaque maison anglaise, même modeste, si elle date de moins de vingt ou trente ans, contient une salle de bains. Dans les quartiers ouvriers de toutes les villes industrielles, on trouve des bains publics qui sont des modèles. Partout les water-closets sont tenus parfaitement propres et lavés à grande eau ; et cela même dans les hôtelleries des plus petites villes de province. Dans les vingt dernières années, les municipalités de toutes les villes de quelque importance ont travaillé à élever des bibliothèques et des bains publics et gratuits : les unes et les autres sont, de l’avis général, des institutions de première nécessité.
    « Depuis 1870, la mortalité s’est abaissée, en Angleterre, de 22,52 pour 1000 habitans (1861 à 1870), à 18,8 en 1887, 17,8 en 1888, 17,9 en 1889, ce qui représente un gain d’environ 4 p. 1000 ; si la France avait adopté les mêmes mesures que l’Angleterre, elle économiserait aujourd’hui la vie de 150000 personnes chaque année. » L. Mangin. Elémens d’hygiène. Paris, 1892.
    Toutes les écoles anglaises sont pourvues de salles de bains où les enfans font chaque matin leur toilette ; à cela comparez les lavabos de nos lycées, même des plus récens, qui débitent par de minces robinets de maigres filets d’eau, et nos mœurs scolaires qui supposent qu’un bain par mois est suffisant. Je ne parle pas de nos grandes villes, ni, à plus forte raison, des petites, où les établissemens de bains sont rares et peu fréquentés ; de nos maisons, où un cabinet de bains est un luxe. Enfin il n’y a pas d’apparence que le peuple français réclame bientôt des municipalités l’établissement de bains publics et gratuits.