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heureusement inconnue en Angleterre. La regrettable punition qui consiste à priver l’enfant, après le repas, du peu d’air qu’il peut respirer dans sa journée, parce qu’on n’a pas su l’intéresser à son travail et qu’il l’a fait sans goût, ou parce qu’il n’a pu rester immobile pendant trois heures d’étude, — la retenue reste et restera la honte des éducateurs français qui l’ont inventée et se croient obligés de la maintenir. Les retenues distribuées à la douzaine, pour les moindres peccadilles, et qui cloîtrent l’enfant pour un jour, c’est, de la part des éducateurs, le plus piteux aveu d’impuissance[1].

On a discuté à perte de vue, en Angleterre, depuis plus de vingt ans, sur les peines corporelles à l’école. Les uns ont dit : C’est indigne, infâme, barbare. Les autres : C’est nécessaire, commode, et c’est admis[2]. Et cependant l’on fouette toujours. Je ne crois pas que la question mérite une grande dépense d’argumens philosophiques[3].

Pour ce qui est de la dignité de celui qui reçoit le fouet, elle ne nous paraît atteinte que si l’opinion commune la déclare telle : or tel n’est pas le cas en Angleterre, sauf exceptions. La dignité de celui qui applique les verges pourrait souffrir dans son prestige, n’était la tradition qui sauve tout. Et si les résultats sont bons, si le fouet appliqué une fois par mois à deux ou trois mauvais garnemens sur 5 à 600 élèves doit les délivrer tous des retenues stupides, nous ne nous en indignerons point. Nous constaterons seulement une fois de plus que les Anglais ont manqué de logique et fait preuve de bon sens.

  1. Une circulaire de notre ministre de l’instruction publique, datée de 1890, a décrété la discipline libérale :
    « Le Conseil supérieur de l’instruction publique, disait le ministre, M. Bourgeois, dans son discours de clôture de la session de décembre 1891, a rendu la discipline plus souple, plus libérale… Il en a fait un moyen d’éducation, une école du caractère. » Comme s’il dépendait de quelques hommes réunis autour d’un tapis vert d’opérer une révolution morale ! Le fait est que l’on a interdit aux maîtres répétiteurs et aux professeurs des petits lycées d’administrer directement des punitions. Ils les proposent au proviseur, qui doit les ratifier. « Il ne faut pas faire difficulté d’avouer que c’est là une mesure de défiance pénible pour ceux qui la subissent. » H. Marion, l’Éducation dans l’Université, p. 275.
    Comme, d’ailleurs, un décret du 28 août 1891 menace de neuf peines échelonnées les maîtres répétiteurs, ceux-ci se trouvent dans une situation singulière : menacés d’un côté, désarmés de l’autre. L’administration parait avoir toujours une somme égale de défiance à dépenser ; cette défiance a seulement changé d’objet : au lieu d’être dirigée contre les élèves, elle vise les maîtres.
  2. Dukes, loc. cit., p. 178, conseille l’usage des verges comme le meilleur moyen de punir certaines fautes, et Dukes est un hygiéniste à l’âme sensible ; mais il réprouve l’usage du bâton en place de verges, le bâton est trop brutal et peut blesser l’enfant.
  3. Voyez de longues dissertations sur ce sujet dans Demogeot et Montucci.