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Molaines ; puis, une de Conon de Béthune, une du duc de Brabant ; poursuivez votre lecture : vous rencontrerez aussitôt Hugues de Berzé, Maurice de Craon, Jacques de Cison. le comte de Soissons. Vous n’avez lu que dix chansons : elles sont de dix poètes différens. En vérité, quelle est l’école lyrique qui, si l’on apprenait ainsi à la connaître, ne produirait pas une insurmontable impression de monotonie ? Supposez que nous ne puissions connaître la Pléiade que par une anthologie, qui nous donnerait, à la file, des poèmes de Rémy Belleau, de Ronsard, de Ponthus de Thyard ; qui confondrait Délie, Cassandre, Olive, Marie, Francine, Méline, ne diriez-vous pas que ces poètes sont tous identiques ? Ils ne se ressemblent pas, pourtant, sinon par l’air de famille général qui, à une époque quelconque, réunit les poètes d’une même école lyrique. De même, pour nos trouvères. Ce qui importe aujourd’hui, c’est moins de reproduire diplomatiquement des manuscrits, que d’extraire de tous les manuscrits conservés les chansons de chaque poète, de les réunir et d’en donner l’édition critique. Lorsque ce travail sera terminé, on pourra renvoyer aux seuls philo logues et aux seuls historiens de la musique un très grand nombre de chansons médiocres. Mais on discernera quelques écoles : groupe champenois, groupe artésien ; et, dans l’intérieur même de ces écoles, quelques figures individuelles de vrais poètes.

La Société courtoise du XIIIe siècle, férue de ces théories sentimentales et que charment romans de la Table Ronde et chansons d’amour, n’est point tout adonnée au siècle, pourtant. La religion l’enveloppe et la domine ; les clercs riment pour elle plus de vers que les jongleurs ; on lisait au XIIIe siècle moins de romans que de Vies de saints, mérovingiens, celtiques, orientaux. Les diverses formes de cette littérature religieuse — sauf la poésie lyrique — sont représentées dans notre collection : la poésie narrative par des traductions de récits évangéliques et par des légendes hagiographiques ; la littérature didactique, par un curieux volume d’exemples à l’usage des prédicateurs ; la dramaturgie chrétienne, par d’amples recueils de mystères et de miracles.

La poésie cléricale narrative n’a qu’une importance médiocre. Elle n’est qu’une annexe de la littérature latine. Comme il ne s’agit d’ordinaire que de traductions, dont les originaux nous sont parvenus, elle n’intéresse guère que les seuls linguistes. C’est le cas, sans doute, de la Vie de saint Thomas de Cantorbéry, publiée par la Société, fragment d’une mise en vers exacte et froide du Quadrilogus. Pourtant, ces traductions ne sont pas tout à fait négligeables, si l’on songe qu’elles ont agi, plus puissamment que les originaux, sur les imaginations laïques. N’est-il pas curieux que la Société ait pu imprimer jusqu’à trois traductions rimées du