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son goût est sûr. Enrégimenté d’abord, comme tous les écrivains de sa génération, dans l’école naturaliste, il ne s’y est pas attardé. Mais en quittant l’école, il a su en emporter ce que contenaient de meilleur les principes qu’on y enseignait. Il a le respect de l’observation exacte. Nullement romanesque, il se tient très près de la réalité. Ce qui le frappe surtout dans le train de la vie c’est ce qu’il y découvre d’incomplet et de médiocre. Il voit comme toutes nos aspirations sont contrariées et nos désirs trompés. Il excelle à traduire ces perpétuels malentendus dont nous sommes les victimes plus que les auteurs. De là vient la teinte de mélancolie répandue sur toute son œuvre. Elle n’est, cette œuvre, dans son ensemble, que l’histoire de nos renoncemens à un idéal inaccessible.

C’est avec le tour d’esprit qui leur est particulier que l’un et l’autre écrivain abordent la question qui nous occupe. Mais tous deux l’ont traitée avec une égale franchise. Ils ont poussé les choses à bout. Ils ont choisi le cas le plus grave, celui où la faute a eu des conséquences matérielles. Ils ont rejeté tout appareil mélodramatique. Point de grands cris et point de grands mots. Le mari offensé ne lève pas le bras sur sa femme, et ses cheveux ne blanchissent pas en une nuit. la vie n’est pas suspendue, mais elle continue, bourgeoise et simple, après la tragique révélation. De même ils ont écarté du débat tout élément étranger, intervention du scandale, souci de l’opinion du monde. Ils ont laissé en présence la coupable et son juge. Ils ont éloigné l’amant afin de ne pas détourner sur lui la colère du mari et de ne pas donner à l’offensé la satisfaction de la vengeance. Rien ne trouble l’intensité du drame. L’affaire se passe sans témoins, dans le secret des cœurs… Et, par des voies différentes, la conclusion à laquelle les deux œuvres aboutissent est en somme identique.

Le héros de l’Intrus, Tullio Hermil, nous est donné pour un homme profondément corrompu. Avide de plaisir il n’a demandé à la vie que de lui procurer la plus grande somme de jouissances possible. Son caprice est devenu sa loi unique. Comme il arrive, son esprit lui a fourni de subtiles théories par où il légitime son égoïsme. Convaincu qu’il est une nature exceptionnelle et une intelligence d’élite, il en conclut que tout lui est permis et qu’il est placé en dehors et au-dessus des conventions ordinaires de la morale. Cela le mène à des écarts de conduite tout à fait monstrueux. C’est de sang-froid et le plus sérieusement du monde qu’il propose à sa femme de se résigner au rôle de « sœur ». Et il trouve d’admirables sophismes pour faire valoir aux yeux de Juliane tout ce que ce rôle a de noble, d’agréable et d’avantageux. Lui pourtant promène sa curiosité à travers toute sorte d’expériences : de ces expériences chacune est pour lui une déchéance. Son dernier amour pour une courtisane de grande marque lui a fait connaître