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et le vin ont été finalement repoussés, — le dernier grâce surtout à l’intervention du Wurtemberg. — On fera, par courtoisie, enterrer le projet par la commission à laquelle il a été renvoyé, et les « contributions matriculaires », c’est-à-dire l’impôt direct levé par les soins des États, seront sans doute chargées, pour cette année du moins, de pour voir au déficit.

Tandis que ces discussions financières se poursuivaient dans l’enceinte du Reichstag, l’Allemagne, émue et heureuse, assistait à la réconciliation officielle de l’empereur et du prince de Bismarck. L’échange de dépêches qui avait eu lieu, cet automne, entre Guillaume II et l’ancien chancelier pouvait faire présager quelque détente dans les rapports de ce sujet illustre avec son « maître », suivant l’expression qu’aimait à employer le vieil homme d’État, au temps où il commandait à l’Empire. La détente s’est produite tout entière ; on s’était salué de loin il y a quelques mois : il y a quelques jours on s’est embrassé. Le prince de Bismarck, mandé par l’empereur, a fait à Berlin une visite solennelle, triomphale même, et qu’avec une tristesse légèrement ironique on a pu appeler « le retour des cendres » du fondateur de l’unité germanique. Cette pompeuse accolade, ce séjour de quelques heures fait par Bismarck au palais royal, ces honneurs quasi souverains que Guillaume a pris soin de lui rendre jusqu’à la portière du wagon, où il l’a accompagné lorsque le prince a repris le chemin de Friedrichsruhe, l’enthousiasme des Berlinois, qui ont compris que la consigne, cette fois, était de s’abandonner aux élans de leur cœur et non pas de les comprimer, comme durant ces années précédentes, quand l’ex-chancelier traversait presque furtivement la capitale, tout cela doit-il avoir un lendemain ? M. de Bismarck recueillera-t-il, de ce déplacement, autre chose que le cadeau de la bouteille de vin extra vieux qui a précédé son voyage et des quelques mètres de drap gris d’ordonnance qui l’ont suivi ? Ce n’est guère probable.

Le bénéfice sera tout entier pour l’empereur, qui, devant l’opinion, continuait, malgré les picoteries agressives de son ancien ministre, à avoir les torts de son côté. Maintenant, au contraire, ou M. de Bismarck se taira, ou, s’il persiste dans ses plaintes amères, le public le trouvera trop exigeant, trop inapaisable. Croire que le vieil homme de fer, — le fer aujourd’hui fût-il rouillé, comme disait l’autre jour de lui-même le châtelain de Friedrichsruhe, — soutiendra volontiers la politique de son successeur auprès des conservateurs prussiens, ce serait mal connaître l’humanité. Les âmes du patron de celle de Bismarck ne perdent le goût du pouvoir qu’avec la vie ; elles le regrettent jusqu’à leur dernier souffle si on les en prive, et ne pardonnent point à qui a osé le leur arracher.

Il est vraisemblable que, dans les questions douanières, où chacun défend un intérêt d’argent, la voix de l’ancien chancelier, même si elle