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été accueilli par une défiance mal déguisée de tous les partis, à l’exception de la gauche allemande. Il a réussi à vaincre certains scrupules du centre et des Polonais et à fortifier sa position. Son but est la lutte contre le fédéralisme et la démocratie, ou du moins contre ce qui lui paraît être l’excès de l’un et de l’autre. Il a trouvé dans l’héritage du comte Taaffe le projet de loi organisant le suffrage universel, qu’il a répudié, et le décret établissant l’état de siège à Prague, qu’il a maintenu, avec l’approbation du Reichsrath. Sur la question électorale le nouveau cabinet a déposé à son tour un projet, soumis en ce moment à l’examen d’une commission, par lequel les classes ouvrières seront appelées désormais à voter, mais où l’on prend soin, comme l’annonçait la déclaration ministérielle, de sauvegarder « la prépondérance politique de la bourgeoisie et du paysan », et, par le paysan, c’est l’aristocratie qu’il faut entendre.

Sur le terrain fédéraliste, à la « ligue des Slaves », par laquelle les jeunes Tchèques essaient de réunir en faisceau, pour augmenter leur influence, les millions de Slaves dispersés au nord et au sud de la monarchie, séparés par la région allemande et magyare ; à la ligue des Slaves le ministère a opposé, en Bohême, centre de l’agitation, le procès de l’Omladina, où étaient compris 77 accusés et où 160 témoins ont été entendus. Il est vrai que, parmi ces accusés, 45 n’avaient pas 20 ans et 13 étaient âgés de moins de 17 ans.

Les poursuites intentées contre cette société secrète, ou prétendue telle, qui paraît compter plus de gamins tapageurs que de révolutionnaires adultes, — effectivement, en langue slave, omladina signifie jeunesse, — ont emprunté quelque intérêt à l’assassinat d’un malheureux nommé Mrva, bossu comme Triboulet et auquel son infirmité avait valu le surnom de Rigoletto de Toscane. Ce conspirateur fantaisiste passait pour être au mieux avec la police de Prague ; l’un des leaders du parti jeune-tchèque, M. Hérold, l’avait accusé, à la tribune de la Chambre, de jouer le rôle de dénonciateur dans la société, et quelques jours après, deux omladinistes, pour punir sa trahison, lui enfonçaient leur poignard dans le cœur. Ce tragique événement fournit au ministère un argument suffisant pour convaincre les esprits hésitans de la nécessité du maintien des mesures dont la capitale de la Bohême était l’objet. Depuis lors, quoique les interminables audiences du procès de l’Omladina n’aient en somme révélé rien de bien grave, quoique la cour de justice suprême ait reconnu aux conseils municipaux, malgré le ministère, le droit de rédiger exclusivement dans la langue du pays les indications des noms de rues, — on se souvient que cette affaire des plaques indicatrices des rues a passionné l’opinion en Bohême et ne fut pas étrangère aux troubles de cet été, — il n’en demeure pas moins, et les dernières émeutes l’ont prouvé, que les élémens anarchistes cherchent à s’emparer, dans le royaume de saint Wenceslas, d’un mouvement qui