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ici sensible ; et aussi bien, même de nos jours, un brahmane, seul ou adjoint au Conseil de la caste, prend souvent dans ces décisions la part prépondérante. L’ambition brahmanique pénètre et inspire cette littérature tout entière. Il peut être malaisé de marquer dans le détail jusqu’où va l’arbitraire ; il est certain qu’il colore plus d’une partie du tableau, qu’il fausse plusieurs des ressorts de l’organisation sociale telle quelle nous est esquissée ; et l’on voit quelles réserves appelle le témoignage de la tradition littéraire. Des faits actuels elle semble ainsi tour à tour et se rapprocher et s’éloigner singulièrement. Tout s’y comprend sans peine, — les contradictions se résolvent en diversités locales, les symétries impossibles eu essais d’explications systématiques, — si l’on admet qu’elle correspond à une situation réelle absolument analogue à celle qui existait hier encore. Cette situation est seulement présentée dans une perspective trompeuse, avec des généralisations, des corrections, des interprétations, telles qu’en pouvait inspirer soit le tour d’esprit propre aux Hindous soit la préoccupation souveraine des intérêts brahmaniques.

Je dis analogue, je n’oserais dire identique. Si un fait ressort clairement du spectacle des castes, c’est, sous l’action continue de principes assez stables, la mobilité des formations. Il n’est sûrement pas nouveau ; les causes qui le produisent sont en jeu depuis de longs siècles. La situation ancienne qui correspond à la rédaction des Livres de lois et de l’Epopée a donc pu dans le détail s’écarter plus ou moins des données actuelles. Les grandes lignes en étaient toutes semblables. Il faut seulement, dans l’organisation des castes comme ailleurs, réserver la possibilité, la vraisemblance de modifications telles que le temps ne manque jamais d’en introduire dans les institutions humaines, même après cette première et décisive évolution qui a constitué leur individualité.

En somme, ce n’est pas la théorie qui peut rendre compte des faits : ce sont les faits qui aident à voir la théorie sous son vrai jour, à la ramener dans ses justes limites.


II

Les Livres de lois et l’Epopée correspondent à une époque où le monde hindou est définitivement constitué. Ils reposent sur une double assise de productions plus anciennes : une couche de littérature sacerdotale, et, plus haut encore, le trésor des hymnes védiques, ce que, dans l’usage occidental, moins large que la terminologie hindoue, nous appelons spécialement le Véda.

Il nous faut remonter jusque-là.