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Pérou, lequel comprend cent deux cités d’Espagnols, sans compter nombre de villes, vingt-huit évêchés et archevêchés, cent trente-six corrégidors, les Audiences royales de Valladolid, Granada, las Charcas, Quito, Chili et la Paz. Lima a un évêque, une église cathédrale dans le goût de celle de Séville, bien que moins grande, avec cinq bénéfices, dix chanoines, six prébendes entières et six demi-prébendes, quatre cures, sept paroisses, douze couvens de moines et de nonnes, huit hôpitaux, un ermitage, tribunal d’Inquisition (il y en a un autre à Carthagène), université, vice-roi ; audience royale qui gouverne le reste du Pérou, et autres magnificences.

Je rendis ma lettre à Diego de Solarte, très riche marchand, qui est aujourd’hui consul mayor de Lima. C’est à lui que mon maître Juan de Urquiza m’avait adressé. Il m’accueillit en sa maison avec grâce et affabilité et, peu de jours après, me remit sa boutique, m’appointant à six cents pesos l’an. Et je m’y employai fort à son gré et contentement.

Au bout de neuf mois, il me dit de chercher ma vie ailleurs. Voici pourquoi. Il avait chez lui deux jeunes sœurs de sa femme avec lesquelles, et surtout avec une qui me plaisait davantage, j’avais coutume de m’ébattre et folâtrer. Or, un jour que j’étais sur l’estrade à me peigner, couché parmi ses jupes, me jouant dans ses jambes, il nous vit par aventure à travers la grille de la fenêtre et l’entendit qui me disait d’aller au Potosi chercher de l’argent et que nous nous marierions. Il se retira, tôt après m’appela, me demanda mes comptes, me congédia, et je m’en allai.

Me voilà donc mal à l’aise et mal paré. On levait alors six compagnies pour le Chili. J’allai m’enrôler comme soldat dans l’une d’elles et reçus sur l’heure deux cent quatre-vingts pesos de solde. Mon maître Diego de Solarte l’ayant su, en fut très marri. Il n’en demandait pas autant, paraît-il. Il m’offrit de faire diligence auprès des officiers afin qu’on me rayât du rôle et de rembourser l’argent que j’avais reçu. Mais je n’y consentis point, disant que mon inclination me portait à faire du chemin et à voir le monde. Bref, je fus incorporé dans la compagnie du capitaine Gonzalo Rodriguez et, avec mille six cents hommes de troupe dont était mestre de camp Diego Bravo de Sarabia, je partis de Lima pour la cité de la Concepcion qui en est éloignée de cinq cent quarante lieues environ.



VI



Nous arrivâmes au port de la Concepcion après vingt jours de route. C’est une cité passable ayant titre de Noble et Loyale.