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la mienne. Les assistans se jetèrent sur nous et nous séparèrent. On changea d’entretien. À la nuit close, je sortis pour rentrer chez moi. À quelques pas, au coin d’une rue, je tombe sur mon homme. Il tire son épée et marche sur moi. Je dégaine, nous nous chargeons. Après avoir quelque peu ferraillé, je lui poussai une botte. Il tomba. On vint au bruit, la justice accourut et me voulut prendre ; je résistai, reçus des blessures et, battant en retraite, me réfugiai dans la cathédrale. Je m’y tins quelques jours, averti par mon maître de me garder. Enfin, une belle nuit, toutes précautions prises, je partis pour Piscobamba.



XII



Arrivé à Piscobamba, je me retirai chez un ami, Juan Torrizo de Zaragoza, où je demeurai quelques jours. Une nuit, tout en soupant, on organisa une partie avec quelques amis qui étaient entrés. Je m’assis en face d’un Portugais, Fernando de Acosta, fort ponte. Son enjeu était de quatorze pesos par pinta. Je lui tirai seize pintas. En les voyant, il se donna un soufflet au visage, s’exclamant : — Le diable incarné m’assiste ! — Jusqu’à présent, qu’a donc perdu Votre Grâce pour perdre ainsi le sens ? lui dis-je. — Il allongea les mains à me toucher le menton et cria : — J’ai perdu les cornes de mon père ! — Je lui jetai les cartes au nez et tirai mon épée. Lui, la sienne. Les assistans s’entremirent et nous retinrent. Tout s’arrangea, on plaisanta et rit des piques du jeu. Il paya et s’en alla, en apparence bien tranquille.

À trois nuits de là, rentrant à la maison, vers les onze heures, j’entrevis un homme posté au coin d’une rue. Je mis la cape de biais, dégainai et m’avançai. En approchant, il se jeta sur moi, me chargeant et criant : — Gueux de cornard ! — Je le reconnus à la voix. Nous ferraillâmes. Presque aussitôt, je lui donnai de la pointe, et il tomba mort.

Je restai un moment, songeant à ce que je ferais. Je regardai de tous côtés et ne vis personne. J’allai chez mon ami Zaragoza et me couchai sans mot dire. Dès le matin, le corrégidor don Pedro de Meneses me vint faire lever et m’emmena. J’entrai à la prison et on me mit aux fers. Au bout d’une heure environ, le corrégidor revint avec un greffier et reçut ma déclaration. J’affirmai ne rien savoir. On passa aux aveux. Je niai. L’acte d’accusation fut dressé, je fus admis à la preuve. Je la fis. La publication faite, je vis des témoins que je ne connaissais aucunement. Sentence de mort fut rendue. J’en appelai. Ce nonobstant on ordonna d’exécuter. J’étais fort affligé. Un moine entra pour me confesser,