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Un appartement décent fut disposé pour moi. Je m’y installai commodément, préparant ma confession que je fis le mieux que je pus. Après quoi, Sa Seigneurie me donna la communion.

Le cas s’étant divulgué, le concours des curieux fut immense. Malgré tout l’ennui que j’en avais ainsi que l’illustrissime, il ne fut pas possible de refuser l’entrée aux personnes de marque.

Enfin, au bout de six jours, Sa Seigneurie détermina de me faire entrer au couvent des nonnes de Sainte-Claire de Guamanga. C’est la seule maison de religieuses qu’il y ait là. J’en revêtis l’habit. L’évêque sortit de son palais, me menant à son côté, au milieu d’un si merveilleux peuple que toute la ville y devait être, de sorte qu’on tarda longtemps à gagner le couvent. Enfin, nous parvînmes à la grand’porte. Il fallut renoncer à entrer dans l’église, où l’illustrissime voulait d’abord aller, car elle était comble. Toute la communauté, cierges allumés, nous attendait à la porte. Là, l’abbesse et les plus anciennes passèrent un acte par lequel la communauté s’engageait à me remettre au prélat ou à son successeur toutes les fois qu’il me demanderait. Sa Très Illustre Seigneurie m’accola, me donna sa bénédiction et j’entrai. Menée processionnellement au chœur, j’y fis mon oraison. Je baisai la main à madame l’abbesse, et après avoir embrassé toutes les nonnes et en avoir été embrassée, elles me menèrent à un parloir où l’Illustrissime m’attendait. Il me donna de bons conseils, m’exhorta à être bonne chrétienne, à rendre grâces à Notre-Seigneur, à fréquenter les sacremens, s’engageant, comme il le fit plusieurs fois, à me les venir administrer. Puis, m’ayant offert généreusement tout ce dont je pourrais avoir besoin, il partit.

La nouvelle de cet événement courut partout. Ceux qui m’avaient vue auparavant et ceux qui, dans toutes les Indes, avant et depuis, connurent mes aventures, s’émerveillèrent.

Cinq mois plus tard, l’an mil six cent vingt, mon saint évêque trépassa subitement. La perte pour moi fut grande.



XXI



Sitôt après la mort de l’illustrissime évêque de Guamanga, le très illustre seigneur don Bartolomé Lobo Guerrero, archevêque métropolitain de Lima depuis l’an mil six cent sept jusques au douze de janvier mil six cent vingt-deux qu’il décéda, m’envoya quérir. Les nonnes me laissèrent aller, non sans extrême regret. Je partis en litière, escortée de six prêtres, quatre moines et six hommes d’épée.