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d’audace partent de mains trop rares et trop faibles pour ébranler sérieusement la sécurité d’un grand État. Nous savons maintenant que le « Comité exécutif », cet épouvantail, même doublé de la « Commission dirigeante », ne commandait à aucune force organisée. Les quelques membres de ces comités décidaient et exécutaient de leurs mains les crimes convenus entre eux. Nous les voyons, suivant les besoins, se transporter d’un bout à l’autre de la Russie, de Pétersbourg à Odessa, recrutant péniblement sur les lieux un ou deux complices nouveaux. On connaît aujourd’hui leurs vrais noms et leur carrière. Enfin les suppositions romanesques qui prêtaient aux conspirateurs des intelligences dans les plus hautes sphères doivent tomber devant l’évidence ; aucun nom digne d’attention n’a retenti au procès, aucune réticence dans la conduite des débats n’a éveillé nos soupçons. Si la guerre forcenée déclarée au pouvoir par les terroristes peut rencontrer quelques secrètes complaisances dans l’opinion libérale, la grande masse du peuple russe ne saurait être entamée par les théories socialistes-révolutionnaires, telles que les hommes d’action les ont empruntées à l’Occident. Un péril désormais si bien connu peut être considéré comme à demi conjuré…


Telles étaient les conclusions un peu optimistes que nous tirions alors de ces premières révélations. La suite du temps ne les a pas démenties ; mais nous devions traverser encore une période d’angoisses qui nous montra les racines du mal plus profondes, le recrutement des terroristes plus étendu que nous ne le pensions, et leur puissance entière pour frapper des coups plus lamentables que les précédens. Durant l’hiver de 1880-1881, les alertes continuelles et les arrestations faites par les autorités disaient assez que des mines sourdes cheminaient sous le sol russe.

Le 1er/13 mars au matin, un dimanche, je reçus comme d’habitude l’invitation au razvod, la parade de la garde montante où l’empereur Alexandre II nous convoquait chaque dimanche dans le manège Michel. J’ai gardé ce papier, car son laconisme a pris depuis ce jour une étrange signification.

Demain, dimanche, 1er/13 mars, aura lieu la parade de la garde montante, au manège Michel, à 1 heure de l’après-midi.

Ce jour-là, ce fut Dieu qui donna le mot d’ordre et releva le gardien suprême de l’empire russe de la dure faction qu’il lui avait imposée. Au sortir du manège, sur le canal Catherine, une première bombe endommageait l’équipage de l’empereur et blessait les hommes de son escorte ; comme il descendait pour s’enquérir, un second projectile lui brisa les jambes et le renversa