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existe rien de pareil. Le Français, pour eux, c’est l’ennemi, mais quant à essayer de l’observer, et de se faire une opinion sur lui, on dirait qu’ils n’en ont pas eu le temps, ou encore qu’ils n’ont pas cru en avoir le droit. A peine si deux ou trois sont sortis de cette réserve, pour se répandre en injures contre la France et les Français : et ceux-là ne sont point même de véritables militaires, mais des avocats, des procureurs, des médecins enrôlés par occasion, et qui répétaient sur leur carnet, sans y attacher d’autre importance, des phrases de journaux. On s’est servi de leurs ouvrages pour nous présenter toute cette littérature militaire allemande comme animée à notre égard d’un esprit de haine et de fureur. Non, en vérité, cette littérature n’est pas si méchante ! Elle est nulle, simplement ; et ce n’est point la haine ni la fureur qu’on y sent, mais au contraire un état tout impersonnel d’obéissance et de résignation.

Et l’on comprend que la parfaite nullité de la plupart de ces livres fasse paraître, par opposition, plus intéressante encore toute publication un peu originale : mais il n’y avait pas, je crois, besoin de ce contraste pour me faire prendre l’intérêt le plus vif aux Lettres de campagne de feu Charles de Wilmowski, que public, depuis quelques mois, la Deutsche Revue. Ce sont de belles lettres, écrites sans souci aucun de publicité, par un honnête homme, plein de sens et de jugement : à ce seul point de vue elles méritaient déjà d’être publiées. Mais sans parler du caractère de leur auteur, elles se recommandent encore de la situation exceptionnelle qu’il occupait en 1870 et qu’il a gardée jusqu’à la mort. Né en 1817, à Paderborn, d’une vieille famille silésienne, Charles de Wilmowski, ancien magistrat, et l’un des premiers légistes de l’Allemagne, était, depuis 1869, le chef du cabinet particulier du roi de Prusse, son confident intime, et même, a-t-on dit, l’inspirateur de quelques-unes de ses décisions les plus importantes.

C’est en compagnie de son royal maître que Wilmowski a fait la campagne de France. Les lettres qu’il adressait tous les jours à sa femme, il les écrivait dans le cabinet même de celui de qui dépendaient alors les destinées de l’Europe. Malgré l’indépendance de ses opinions personnelles, et malgré la réserve que lui imposaient ses fonctions, ses lettres nous apportent ainsi l’écho de ce qui se disait autour du roi Guillaume ; elles nous montrent la guerre franco-allemande telle qu’on la voyait, jour par jour, de ce poste particulier d’observation ; elles sont un très précieux document d’histoire et de psychologie.

J’espère qu’on les traduira en français. De tous les ouvrages allemands publiés sur ce triste sujet, c’est — avec les Souvenirs d’un prisonnier de guerre de M. Th. Fontane — le seul que nous ayons profit à connaître. Sa lecture ne peut manquer de nous désoler : elle n’aura du moins rien d’humiliant ni de blessant pour notre amour-propre national. Sans cesse Wilmowski, en son nom et au nom des princes qu’il