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noir depuis 1890. La décadence de Tombouctou étant due aux exactions des Touaregs pillards qui rançonnent les caravanes, — ce qui avait déterminé une grande partie de celles-ci à se diriger vers Éga, un des postes avancés de la Compagnie du Niger, — nos rivaux d’outre-Manche, tout en se réjouissant très loyalement de notre conquête, pour les intérêts généraux de la pénétration européenne, ne purent se défendre d’envisager ses résultats au point de vue anglais avec quelque inquiétude. Ils exprimèrent la crainte que le trafic ne fût détourné de Sierra-Leone et du Bas-Niger au profit du Sénégal ou de l’Algérie. « Si Tombouctou, — écrivait le docteur Lenz, le dernier Européen qui ait séjourné dans cette ville, en 1880, — se retrouvait sous l’influence d’un gouvernement fort, il prospérerait de nouveau. L’antique querelle entre Touaregs et Foulbès, qui la divise et la paralyse, prendra fin lorsqu’une troisième puissance viendra s’immiscer dans ces luttes. »

Ce moment est venu ; nous nous trouvons en présence d’un fait accompli et il ne peut plus être question maintenant d’évacuer Tombouctou, quelle qu’ait été l’opportunité de l’occupation que l’on a pu regarder comme prématurée, quelque douloureux que puisse être l’échec qui a suivi cette conquête. Le 7 février, en effet, on apprenait que le colonel Bonnier, parti en reconnaissance à la tête d’une compagnie et demie de tirailleurs, en laissant à l’un de ses subordonnés le commandement de Tombouctou, avait été surpris nuitamment, à cinquante kilomètres de cette ville, par des Touaregs à cheval, suivis de fantassins armés de lances. Quatre-vingts des nôtres furent tués, parmi lesquels le vaillant et malheureux colonel, ainsi qu’une dizaine d’officiers européens.

Ce guet-apens, dont le succès était évidemment dû à un trop grand mépris de nos adversaires, à une trop grande confiance en notre supériorité, a sans doute pour auteur le chef touareg auquel Tombouctou payait tribut. Ce despote, nommé El-Ouallisk, qui occupe la partie nord de la branche du Niger, depuis Sokoto jusqu’au Touat, fixe tous les ans à sa guise les « coutumes » qu’il entend lui être servies. Il a dû se trouver directement lésé dans ses intérêts par notre prise de possession de la ville sainte.

Il convient de signaler avec éloges, — les étrangers, les Anglais notamment, bons juges en matières coloniales, nous les ont adressés avec sympathie, — la constance honorable avec laquelle le parlement et l’opinion publique en France ont accueilli la nouvelle de cette sanglante affaire. L’échec du reste, suivant à courte distance un succès, n’en compromet pas les résultats. Nos forces à Tombouctou sont suffisantes, et, pour soutenir la garnison qui y réside par des détachemens d’Algérie et du Sénégal, et assurer son ravitaillement, des ordres ont été donnés qui enlèvent toute inquiétude. La France saura se résigner aux sacrifices d’argent nécessaires pour apprendre aux tribus belliqueuses