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important. La France, qui n’est à tout prendre qu’une « grande Belgique », n’était pas une quantité négligeable, même dans l’isolement où elle s’est trouvée de 1870 à 1891.

Le moment n’est pas venu encore où le gouvernement italien ouvrira les yeux à l’évidence, puisque les vues du cabinet Crispi, exposées à la Chambre par le ministre des finances M. Sonnino, tendent plutôt à combler le déficit par des impôts que par des économies. Avant de résumer ce plan financier, il convient de reconnaître le courage avec lequel les ministres du roi Humbert ont décrit le mal dans toute son étendue. M. Sonnino a commencé par évaluer le déficit à 177 millions, soit plus de 10 pour 100 du total du budget. En outre la dette flottante dépasse un demi-milliard, et la situation déplorable du marché italien exige que le ministre subvienne à la fois au déficit du budget, au compte du Trésor, à la circulation monétaire et à celle des banques. M. Sonnino fait appel à la fois aux économies et aux accroissemens d’impôts, mais dans quelle proportion inégale !

Pour parer au déficit avoué de 177 millions, le budget de la guerre, sur un chiffre de 253 millions, n’offre que 6 millions d’économies, somme qui, jointe à 4 millions distraits du budget de la marine, ne porte qu’à 10 millions le total des réductions militaires.

Aux économies, M. Sonnino ne demande en tout que 45 millions, soit un quart du déficit, et encore 27 millions seulement se réaliseront immédiatement. Le ministre a fait entrevoir la perspective de nouvelles diminutions de dépenses quand le gouvernement aura pu accomplir la vaste réforme administrative qu’il médite. A cet effet il demande de pleins pouvoirs ; en d’autres termes, l’abdication temporaire du parlement. Les impôts nouveaux se décomposeraient ainsi : 17 millions seraient demandés à la propriété foncière non bâtie, 52 millions à la richesse mobilière ; la taxe sur le sel, déjà très lourde, serait augmentée de 8 millions ; les alcools et les droits de succession devraient rendre 9 millions de plus ; enfin un impôt général à créer, sur le revenu, que l’on évalue à 10 millions, serait chargé de parfaire la somme globale de 100 millions d’impôts nouveaux.

Il manquerait encore, pour l’année 1894-1895, une cinquantaine de millions d’après les chiffres ministériels. Parmi les contributions nouvelles figure un impôt sur la rente italienne, qui se trouvera réduite à 4 pour 100. C’est une conversion forcée ; avec des finances florissantes l’Italie aurait pu faire cette conversion à l’amiable, puisque les rentes 4 pour 100 de la Russie, de l’Autriche, de l’Egypte se traitent déjà aux environs du pair. Mais le résultat aurait été tout autre pour le crédit de la Péninsule, puisqu’une conversion forcée n’est autre chose qu’une faillite partielle.

Tel est, dans son ensemble, le programme du cabinet Crispi ; la Chambre et le pays lui ont fait un médiocre accueil ; on pouvait s’y attendre.