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scrupuleuse sincérité de cette rédaction. Voici, d’après les notes autographes de Barras, et en regard, d’après le manuscrit des Mémoires, le récit d’un voyage fait en 1780 :


RÉCIT AUTOGRAPHE DE BARRAS.

« Je lis un voyage avec un chanoine (mot illisible) de liège en picardie, il était lié avec tous les moines de cette province, de sorte que nous fumes reçus fêtés et ébergés dans tous les monastères, il y régnait une telle licence qui quoique jeune me déplut bientôt nous arrivâmes au château du baron de tournon situé à flexicourt, il avait deux filles l’une d’elles aujourd’huy Mme du chilleau, s’occupait de litérature avec succès, elle était en correspondance avec les hommes de lettres les plus distingués et même avec le roi de prusse… le baron était un vieux chevalier très honorable, nous y fîmes un séjour plein de charmes, il me dédomagea un peu de la société de ces moines lixurieux. »


PASSAGE CORRESPONDANT DES MEMOIRES.

« Je voyageai du côté de la Picardie avec un prélat considéré par tous les moines des couvents situés sur la route d’Abbeville. Nous y fûmes accueillis avec empressement : les soupers étaient alors les repas de la joie et du plaisir. Ceux qu’on nous donnait étaient somptueux, terminés souvent par des orgies. Je fus dédommagé du dégoût qu’elles me donnaient en arrivant au château de M. de Tournon. Ce vénérable patriarche nous reçut avec la politesse exquise des anciens chevaliers. Il avait soigné l’éducation de ses deux filles. L’une d’elles qui a épousé le comte du Chillaut s’est fait connaître par quelques pièces de théâtre et sa correspondance avec le roi de Prusse. »


Voici maintenant un autre passage où Barras raconte la visite qu’il fit dans leur prison du Temple aux enfans de Louis XVI, le lendemain du 9 thermidor 1794 :


RECIT AUTOGRAPHE DE BARRAS.

« Le comité de salut public me fit prévenir qu’on annonçait l’évasion des prisonniers du temple qui étaient sous ma responsabilité, je fus au temple je trouvai le jeune prince dans un lit à berceau au milieu de sa chambre il était assoupi, il s’éveilla avec peine il était revêtu d’un pantalon et d’une veste de drap gris, je lui demandai comment il se trouvait et pourquoi il ne couchait pas dans le grand lit il me répondit mes genoux sont enflés et nie font souffrir aux intervalles (sic) lorsque je suis debout, le petit berceau nie convient mieux, j’examinai les genoux ils étaient très enflés ainsi que les chevilles et que les mains son visage était bouffi pâle après lui avoir demandé s’il avait ce qui lui était nécessaire et l’avoir engagé à promener j’en donnai l’ordre aux commissaires et les grondai sur la mauvaise tenue de la chambre.

De là je montai chez Mme, elle était habillée de bonne heure et debout, sa chambre était propre, le bruit de la nuit vous a sans doute éveillée lui dis-je auriés-vous quelques réclamations à me faire et vous donne-t-on ce qui vous est nécessaire Mme me répondit quoui qu’elle avait entendu le bruit de la nuit, qu’elle me remerciait et me priait de faire prendre soin de son frère, je l’assurai que je m’en étais déjà occuppé. Je me rendis au comité de salut public, l’ordre n’a point été troublé au temple mais le prince est dangereusement malade, j’ai ordonné qu’on le fit promener et fait appeller Mr Dussault, il est urgent que vous lui adjoigniez d’autres médecins, qu’on examine son état et qu’on lui porte tous les soins que commande son état, le comité donna les ordres en conséquence. »


PASSAGE CORRESPONDANT DES MEMOIRES

« Les comités répandaient le bruit que les détenus du Temple, que les infortunés enfans de Louis XVI s’étaient évadés. Je me rendis à la prison. Je visitai le prince. Je le trouvai fort affaibli par une maladie qui le minait évidemment : il était couché au milieu de la chambre dans un petit lit qui n’était guère qu’un berceau ; ses genoux et ses chevilles étaient enllés. Il sortit de l’assoupissement où je l’avais trouvé en entra.nl ; , et me dit : « Je préfère ce berceau où vous me voyez au grand lit que voilà : du reste je ne dis point de mal de mes surveil-lans. » Et en parlant ainsi, il me regardait et les regardait alternativement : moi, pour se mettre en