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génie, que ne nous montre-t-on la plus belle de ses œuvres : la trempe d’héroïsme qu’il avait su donner à la nation ? Qui donc oserait, sans rougir de honte, comparer la qualité morale de sa France à lui et de la nôtre ? — « Mes jeunes soldats, l’honneur et le courage leur sortaient par tous les pores ! » disait-il de ses conscrits de 1813, après une affaire où ces enfans s’étaient battus comme des lions. L’honneur et le courage, le dévouement au devoir, l’esprit de sacrifice à la patrie, l’amour de la gloire : oui, voilà bien de quelle forte pâte ses puissantes mains avaient pétri la France.

Et la gloire, quoi qu’on dise, n’est pas un vain mot, — un rayon de soleil fugitif qui se pose un instant et s’en va. Ce rayon d’or pénètre. Il féconde, il éveille à la vie de mystérieuses puissances endormies au fond de la conscience des peuples. La gloire est une force, une force agissante, une force qui dure et qui se transmet. Elle stimule les générations nouvelles à ne pas déchoir du haut rang où les anciennes ont placé la patrie. Ceux qui, comme Louis XIV et Napoléon, ont donné la gloire à un peuple, demeurent éternellement les bienfaiteurs de ce peuple : car ils lui ont conféré ainsi une vigueur morale, un mâle orgueil, une claire conscience de sa dignité, qui, le relevant à ses propres yeux comme aux yeux des autres, l’obligent à penser et à agir plus noblement, ne fût-ce que pour rester égal à lui-même. Or, quelle gloire est comparable à celle que la France doit à son empereur ?

Tel fut Napoléon : le plus grand créateur d’énergie et d’enthousiasme, le plus puissant distributeur d’idéal qui ait jamais paru. Il eut le don merveilleux d’élever un peuple tout entier bien au-dessus du niveau moyen de l’humanité, de lui inspirer jusqu’au délire les plus généreuses passions. Avant lui déjà la Révolution, — dont il continua l’œuvre et à laquelle il reste indissolublement uni, — avait accompli ce miracle. Pardon et oubli aux échafauds de l’une, aux tueries de l’autre ! Il n’y a pas de sang versé qui puisse prévaloir sur un semblable bienfait. Voilà ce que commence à sentir confusément la France, voilà le trait essentiel de cette prodigieuse histoire qu’elle retient et que tout le fiel d’un Barras ne parviendra pas à effacer. Quelle prise croit-on que les commérages suspects d’un envieux exaspéré puissent avoir sur l’homme extraordinaire qui a victorieusement résisté, non seulement aux vulgaires pamphlets, mais au puissant appareil scientifique mis en œuvre contre lui par un penseur et un écrivain tel que Taine ?

— Mais, me dira-t-on, l’Empereur n’est pas seul attaqué dans les Mémoires de Barras. Il s’y trouve aussi de fâcheuses