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en 1635. Richelieu cède enfin : en 1636, Servien est remplacé comme secrétaire de la guerre par Sublet de Noyers, protégé des jésuites et des capucins. Entre les mains de Richelieu et du Père Joseph, cet homme médiocre, mais laborieux, rendra des services : avec lui commencera l’organisation du ministère de la guerre, complétée plus tard par Le Tellier et par Louvois. Bouthillier père et Bullion sont surintendans des finances ex æquo. Chavigny est secrétaire d’État pour les affaires étrangères : il en a le titre plutôt qu’il n’en exerce les fonctions. Pour les affaires d’Allemagne notamment, il n’est que le prête-nom du Père Joseph. Le capucin ouvre le courrier, rédige les dépêches, prépare les instructions destinées aux agens de la France : le secrétaire d’État signe. Le fils de Claude Bouthillier ne se plaint pas de son rôle effacé ; il en a plus de temps pour se livrer à ses plaisirs. On conte cent histoires sur lui. C’est l’amusement de tous les ambassadeurs. Leicester écrit : « Chavigny est de retour, mais nous n’en sommes pas plus avancés… car il est aussy impossible de le trouver qu’une souris dans une grange ; il couche quelques fois en des maisons où on tient des bains et estuves, quelques fois en d’autres lieux, estant tellement voluptueux, que plusieurs s’estonnent comment le grand Apollon de cet Estat veut mettre de si grands et importans affaires en ses mains. » Le grave Grotius lui-même ne peut s’empêcher de mander à Oxenstiern : Butillerius filius nihil nisi cursitat. Le jeune secrétaire d’État est le seul à qui Richelieu pardonne tant de paresse et de dissipation. Les contemporains, ne pouvant s’expliquer cette mansuétude extraordinaire, ont imaginé qu’il devait être le fils naturel du premier ministre : commérage sans preuve et sans vraisemblance, comme beaucoup d’autres du même genre qui traînent dans les Mémoires du temps.

Le Père Joseph a donc la main, par Chavigny, sur les affaires étrangères, par Sublet de Noyers sur la guerre : dans un cas comme dans l’autre, de l’aveu et par la volonté de Richelieu. Peu à peu la confiance du cardinal l’associe à toutes les branches de l’administration ; il exerce pour le compte du premier ministre une sorte de surveillance générale sur les autres membres du conseil. Seul d’entre eux, il est en relation de tous les jours et presque de tous les instans avec Richelieu. Il a un appartement au Palais-Cardinal. Le ministre peut donc le voir à chaque moment au lieu de le faire venir ou d’aller le visiter, comme par le passé, au couvent des Capucins de la rue Saint-Honoré. Cette faveur a fait des jaloux. L’archevêque de Bordeaux, Sourdis, qui joue auprès de Richelieu le rôle d’un espèce d’intendant, dispute au capucin son appartement, et se le fait attribuer. Le Père Joseph n’y perdra rien,